EUROPE Histoire de l'idée européenne
Le mot « Europe » a fait son apparition, dans un sens géographique, dès le viie siècle avant J.-C. Simple péninsule de l'Asie, ses limites orientales restent arbitraires. On peut même discuter de ses limites occidentales et accepter ou non d'y rattacher certaines îles. Mais ces débats de frontières resteraient académiques si, au cours des siècles, le concept d'Europe ne s'était pas chargé d'idées et de passions politiques. Parler de l'« idée européenne », c'est évoquer le problème de savoir si, au-dessus des peuples, des langues, des religions, des États, il n'existe pas une « communauté supérieure », distinguant des continents massifs qui, de près ou de loin, l'entourent, la petite presqu'île découpée par les mers.
Les Grecs dispersés sur trois continents se considéraient comme différents des « barbares ». L'unité de l'Empire romain était la Méditerranée et non l'Europe. Les Arabes, en envahissant l'Espagne, l'Italie du Sud et la Gaule, auraient pu, comme les Romains, dominer le pourtour méditerranéen. C'est leur reflux, de la bataille de Poitiers (732) à la Reconquista espagnole (achevée au xve siècle), qui a mis en lumière une idée « politique » de l'Europe, fondée sur la Chrétienté. Une seule fois, sous Charlemagne, une unité politique a coïncidé pratiquement avec la zone d'influence de l'Église romaine. Pendant le reste du Moyen Âge, le rêve a persisté d'unifier l'Europe sous la direction soit de l'empereur, soit du pape.
L'apparition, dès le xve siècle, d'États modernes structurés a détruit les perspectives d'unité par la religion. L'idée européenne a alors pris – jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale – trois formes principales : Europe de l'équilibre ou du « concert », admettant l'indépendance des États (surtout des grands), garantie par l'observation du droit des gens et de règles traditionnelles (balance of power) ; Europe unifiée par la conquête : tel a été l'objet des deux entreprises fort différentes de Napoléon et de Hitler ; Europe volontairement unifiée, mais celle-ci n'a pas dépassé le stade des projets et des rêves : c'est tardivement, au xxe siècle, que des hommes politiques ont paru admettre la perspective d'une unification concertée.
La fin de la Seconde Guerre mondiale marque une coupure absolue. Le monde est devenu « bipolaire » et la puissance s'est concentrée en deux États dont l'un est partiellement européen et l'autre peuplé pour 90 p. 100 par l'immigration européenne. Les « puissances » européennes, à force de s'être combattues, ont perdu une prépondérance technique et politique qui leur avait permis de conquérir en quatre siècles la quasi-totalité du monde. L'idée d'unité cesse alors d'être affaire d'écrivains pour devenir l'une des préoccupations essentielles des hommes d'État. Robert Schuman, Alcide De Gasperi, Konrad Adenauer, souvent inspirés par Jean Monnet, appuyés par les États-Unis et en opposition avec l'U.R.S.S., ont réussi à créer des institutions communautaires, soit pour l'ensemble de l'Europe non communiste, soit, sur le plan économique, pour six pays occidentaux. De l'unification économique, passerait-on à l'unification politique ? On se heurtait là à des résistances imprévues, dont le général de Gaulle, et plus tard Margaret Thatcher, tous deux hostiles à l'« intégration », ont été le symbole. Après l'effondrement du bloc soviétique et les élargissements à l'Est qu'il a permis, ce problème politique s’est posé, avec encore plus d'acuité.
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Écrit par
- Jean-Baptiste DUROSELLE : professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de Paris
- Alfred GROSSER : professeur émérite des Universités, Institut d'études politiques de Paris
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