LE SUEUR EUSTACHE (1616-1655)
Les dernières années (1650-1655)
Le Sueur est désormais un peintre à la mode, très demandé. Il est à nouveau appelé à l'hôtel Lambert en 1652, pour y peindre la Chambre des Muses (cinq tableaux représentant les neuf Muses, et un plafond, Phaëton demande à Apollon de conduire son char, tous aujourd'hui au Louvre), et aussi le petit et délicieux Cabinet des Bains (in situ). Avec la fin de la Fronde en 1653, les commandes royales reprennent. Le peintre va travailler au Louvre que l'on rénove, où il réalise plusieurs allégories à caractère politique pour l'appartement des Bains d'Anne d'Autriche et la chambre du jeune Louis XIV, dont seules subsistent aujourd'hui quelques épaves (Junon et Troie et Junon et Carthage à la Pinacoteca Manfrediniana de Venise ; Allégorie de la Magnificence à l'Art Institute de Dayton, Ohio), ainsi que plusieurs dessins préparatoires. À la même époque, il exécute à la demande des marguilliers de l'église Saint-Gervais, à Paris, le premier carton pour une série de tapisseries, Saint Gervais et saint Protais conduits devant Astasius (1652-1654, Louvre). Un deuxième carton (Le Martyre de saint Gervais, musée des Beaux-Arts, Lyon) sera achevé par son beau-frère Thomas Goussé après la mort de Le Sueur ; les quatre suivants seront confiés à Sébastien Bourdon et à Philippe de Champaigne.
Il faut ajouter à ces compositions monumentales, où le souvenir de Raphaël demeure prédominant, d'autres commandes émanant d'ordres religieux : Adoration des Mages pour les oratoriens de La Rochelle (1653, musée des Beaux-Arts, La Rochelle), et, en 1654, quatre tableaux pour l'abbaye bénédictine de Marmoutier-lès-Tours (Saint Sébastien soigné par Irène et Saint Louis soignant les malades, au musée de Tours ; Apparition de la Vierge à saint Martin et Messe de saint Martin, au Louvre). Le Sueur y développe un style retenu, concentré et d'une haute inspiration, qui concilie l'élégance décorative et la rigueur de la construction, et où une émotion bien réelle se dissimule derrière la simplicité du ton. La ligne l'emporte sur le volume ; un goût très sûr pour l'arabesque et les figures élancées, aux profils nettement découpés, s'affirme avec une sorte de délectation. S'il paraît plus à l'aise dans des œuvres intimes, comme les Muses de l'hôtel Lambert, où l'alliance des figures et du paysage, la subtile harmonie des couleurs et de la lumière blonde atteignent à la perfection, Le Sueur n'en est pas moins capable de réaliser de grandes compositions solidement rythmées, comme les cartons pour Saint-Gervais. Mais son art se fait de moins en moins narratif (Annonciation, 1652, Louvre ; Allégorie d'un ministre parfait, probablement à la gloire de Mazarin, 1653, musée des Beaux-Arts, Dunkerque) ; tout y paraît comme immobilisé hors du temps, à la limite parfois de l'archaïsme, comme dans la Messe de saint Martin (Louvre), qui fait songer à quelque enluminure médiévale.
L'œuvre de Le Sueur se termine ainsi sur un paradoxe. Mais une mort précoce interrompit, à trente-huit ans, un parcours loin d'être achevé. Dans la seconde moitié du xviie siècle, l'emprise de Le Brun et de Versailles rejeta quelque peu Le Sueur dans l'ombre. Pourtant, sa leçon de pureté et de grâce ne fut pas perdue, surtout au xviiie siècle, où elle devint une référence majeure pour les artistes qui préparèrent le renouveau classique. Ses dessins, collectionnés avec passion, devinrent des modèles de « correction ». Aujourd'hui, ils nous permettent plutôt de suivre la démarche créatrice d'un artiste qui ne cesse de corriger, de perfectionner ses compositions, de rechercher jusqu'au dernier moment le meilleur groupement de ses personnages, étudiés d'abord séparément. Même sur la toile, il peut modifier encore un geste, une attitude.[...]
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Écrit par
- Alain MÉROT : professeur des Universités
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