EUTHANASIE
Parmi les débats et les réformes suscités par l'emprise sans précédent des sciences et des techniques sur le corps humain, l'euthanasie est devenue une question emblématique pour les médecins, les juristes, les philosophes et parfois les sociologues, débordant le seul angle de la légalité. L'alternative « laisser vivre » ou « laisser mourir » est devenue », selon Jean-Louis Baudouin et Danielle Blondeau, « comment vivre » et « comment mourir ». C'est ainsi que cette question peut difficilement être dissociée aujourd'hui d'une réflexion sur la dignité de la fin de la vie, principe invoqué autant par les partisans que par les adversaires de l'euthanasie.
Évolution de la notion
Tolérée, voire favorisée, par les Anciens, quoique expressément interdite au médecin par le serment d'Hippocrate, l'idée d'euthanasie réapparaît chez les Modernes dans L'Utopie (1516) de Thomas More. C'est Francis Bacon qui forge le terme en 1605 pour critiquer l'indifférence des médecins de son siècle pour le traitement de la douleur qui, selon le philosophe, devrait être appliqué « non seulement quand un tel adoucissement est propice à la guérison, mais aussi quand il peut aider à trépasser paisiblement et facilement » (The Proficience and Advancement of Learning, II, 10,7). À l'origine, donc, l'euthanasie, « la bonne mort », dans son sens étymologique, promeut l'idée de l'accompagnement du mourant par le médecin. Ce dernier ne doit pas délaisser son patient une fois acquise la certitude qu'il est atteint d'une maladie incurable. Mais, à partir du xxe siècle, avec le progrès des sciences médicales, le sens du mot euthanasie se modifie. Il s'infléchit d'abord pour désigner, selon l'expression anglo-saxonne, le mercy killing, le meurtre par pitié. Bientôt, sous l'influence des associations scientifiques eugénistes, il se pervertit pour désigner par euphémisme des politiques prônant l'élimination de catégories entières de population présentées comme un fardeau économique inutile et un danger pour la préservation des « éléments sains » de la société. C'est ainsi que l'Allemagne nazie procède durant la guerre à l'élimination systématique des malades mentaux (opération « T.4 » déclenchée en octobre 1939, sous la responsabilité des médecins, par chambre à gaz) ainsi que des enfants mal formés, des vieillards impotents et des « asociaux ».
Aujourd'hui, le mot désigne une réalité éclatée, symptomatique du vif débat sur la délimitation des possibilités offertes par la technique médicale et plus particulièrement par les techniques de réanimation. S'ajoute à cela le rééquilibrage actuel des relations entre le médecin et son patient. La montée en puissance des droits du patient, qui a abouti en France à la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, suggère une redéfinition de la mission de sauvegarde de la santé dévolue au médecin, au sein de laquelle le traitement de la douleur a désormais sa place. Mais l'émergence du droit au traitement de la douleur a nécessairement eu des répercussions sur le rôle du médecin au moment de la fin de la vie. C'est dans ce contexte qu'est apparue, à côté de l'euthanasie active, la notion controversée d'euthanasie dite passive.
L'euthanasie active, dans son acception courante, désigne l'acte par lequel un médecin ou un proche hâte la mort d'une personne atteinte d'une maladie incurable, par exemple, en lui administrant une substance qui abrégera ses souffrances. Elle s'inscrit bien dans une action (la mort est donnée) et se caractérise aussi par l'intention qui la sous-tend : soulager les souffrances tant morales que physiques qui assaillent la personne malade. L'euthanasie[...]
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Écrit par
- Véronique RACHET-DARFEUILLE : docteur en droit, avocat à la cour
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