ÉVÉNEMENT, histoire
La crise de l'événement
Cette forme classique de l'histoire, qui articule étroitement la narration et l'événement, fait l'objet d'une critique radicale de la fin du xixe siècle au milieu du xxe siècle. La question de la scientificité de la discipline historique sert de vecteur à cette remise en cause. L'historien Paul Lacombe (De l'histoire considérée comme science) déclare en 1894 que l'événement, en tant qu'acte humain envisagé comme unique, ne peut être objet de science, car celle-ci commence par établir des similitudes constantes entre les phénomènes. Par conséquent, si l'histoire se veut science, elle se doit d'éliminer tout ce qui consacre l'individuel, l'unique comme objet de savoir. Dans un article décisif, François Simiand l'affirme : il faut « écarter l'accidentel pour s'attacher au régulier [...] éliminer l'individuel pour étudier le social » (« Méthode historique et science sociale », in Revue de synthèse historique, 1903). Dès ce moment, « l'idole événementielle » est ébranlée dans la tribu des historiens et les Annales de Lucien Febvre et Marc Bloch n'auront de cesse d'appeler à la mort de « l'histoire événementielle », selon l'expression de Simiand.
Toutefois, l'acte de décès n'est vraiment prononcé qu'avec la génération qui suit la fondation des Annales. Fernand Braudel, dans sa thèse (La Méditerranée et le monde méditerranéen à l'époque de Philippe II, 1949), ne laisse plus guère de place à l'événement, réduit au seul temps court, celui du politique, « une agitation de surface » déterminée par le temps de la conjoncture et celui des structures. Ainsi, les événements narrés par Braudel (par exemple la bataille de Lépante) se réduisent au statut de manifestations visibles de ruptures de l'équilibre ou des rétablissements de celui-ci (K. Pomian, L'Ordre du temps). De son côté, Ernest Labrousse fonde une histoire économique qui repose sur le refus de l'événement classique, puisque « à la différence de ce qu'on observe dans d'autres parties de l'histoire, tout ce qui est important y est répété » (La Crise de l'économie française à la fin de l'Ancien Régime et au début de la Révolution, 1944). Ainsi, prisonnier d'une histoire « scientifique », l'événement ne survit qu'à l'état de simple discontinuité, quasi-négation de sa nature (François Dosse, L'Histoire, 2000).
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Écrit par
- Olivier LÉVY-DUMOULIN : professeur des Universités en histoire contemporaine, Institut d'études politiques, université de Lille-II
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