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ÉVÉNEMENT, sociologie

La science des événements dans les sociétés modernes

Avec le développement des sciences rationnelles, parallèle à l'urbanisation, à l'industrialisation et à la destruction des sociétés de folk, l'événement cesse d'être une « parole » de Dieu pour être lié soit à la liberté de l'homme, soit aux lois de la contingence. Cournot a souligné ce changement quand il a élaboré sa loi des trois états : vitalisme-histoire-rationalisme. Cela ne veut pas dire que les sociétés modernes ne laissent pas subsister des groupes sociaux qui continuent à faire appel à la divination (groupe féminin, groupe paysan, certains secteurs de la population des grandes villes), car les sciences rationnelles peuvent bien prévoir – de la météorologie à la « prospective » –, elles ne peuvent prédire que des événements collectifs, intéressant la masse ; elles laissent de côté le « privé ». On pourra bien prédire une crise économique (afin, ici encore, de la contrôler ou de la déjouer) et l'extension du chômage, mais on ne peut prévoir qui, de tel ou tel individu, sera chômeur. Ainsi la divination, en tant que connaissance du destin personnel, continue ; seulement elle se donne une image de plus en plus pseudo-scientifique, pour ne pas détonner par rapport au climat rationaliste de nos sociétés ; elle prend par exemple la forme de l'astrologie ou de la métapsychie.

On peut distinguer, dans nos sociétés modernes deux types de connaissance des événements : l'un tourné vers le passé, l'histoire ; l'autre tourné vers l'avenir, la prospective.

L'histoire et les événements

Si l'histoire a été d'abord chronique des événements, elle a cessé de l'être. Et certes elle ne néglige pas ce qui n'est arrivé qu'une fois ; mais « le singulier cohabite avec le répété et le régulier », l'histoire ne peut donc se restreindre à décrire le pur particulier. Au-delà des événements, elle décrit des conjonctures, et même elle tente d'atteindre des structures, c'est-à-dire des permanences, souvent plus que séculaires (Braudel).

Cependant l'histoire est d'abord connaissance des événements, recherche d'une logique des événements, qui dépasse la pure succession chronologique pour établir un discours cohérent : « La date ou les dates d'un événement quelconque constituent de prime abord un repérage seulement extérieur ne pénétrant pas sa substance. Par opposition à sa situation dans le temps, on parlera de la matière d'un événement ; on dit de lui qu'il nous est asséné ou qu'il nous frappe. Il ne constitue pourtant pas un bloc, à jamais indécomposable. Il se prête, le moment de surprise passé, à rapprochement, comparaison, établissement de chaînes de causes expliquant comment devint inéluctable ce qui avait été imprévisible. Il est aussi, comme l'étymologie l'indique, une arrivée ou une issue, l'aboutissement de mouvements secrets dont on s'avise de rebrousser le cours quand on a ressenti l'importance de leurs effets ; il se laisse alors pénétrer en toutes sortes de directions » (C. Morazé). Toutefois ce discours, en transformant des successions temporelles en séries linéaires, ne risque-t-il pas, à la limite, d'omettre que l'événement est aussi « avènement » de quelque chose de nouveau ? L'historien est tenu à montrer que, si l'histoire a une logique, cette logique est celle d'une réalité qui se construit : l'événement est le signe que le temps qui bouge est un temps créateur.

Peut-être même, au-delà d'une histoire événementielle, peut-on entrevoir une « sociologie de l'événementiel », que J. Chevalier pressentait lorsqu'il réclamait, dans une thèse de doctorat venue trop tôt, une « science de l'individuel », et que Braudel nous suggère aujourd'hui[...]

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Écrit par

  • : professeur honoraire à l'université de Paris-I

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