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EVOCATIO, religion romaine

Le terme latin « evocatio » désigne, dans le monde romain, l'acte de procédure religieuse par lequel les dieux d'une cité ennemie sont sollicités, au moment de l'assaut final, d'« abandonner le territoire, les temples, les cultes et la ville » de l'ennemi, pour accorder leur préférence « au territoire, aux temples, aux cultes et à la ville » de Rome. Il s'agit là d'une opération plus juridique que magique : c'est un contrat en bonne et due forme que le général romain propose aux dieux de l'ennemi, prenant de son côté l'engagement par un vœu de leur élever un temple et de leur consacrer des jeux s'ils acceptent le marché. Les termes de la demande sont ceux de toute convention religieuse proposée à un partenaire divin : « Je vous demande, je vous prie et implore votre gracieuse intervention. » Comme dans tout acte religieux, ces termes combinent le recours au droit strict — precor, c'est-à-dire « je présente une demande légitimement fondée » — et la notion du « charme » à exercer sur les dieux, aussi bien que la conscience de ce qu'il y a de purement gracieux (venia) dans l'acceptation divine.

Si la formule exacte de ce type de contrat nous a été conservée par un compilateur du ive siècle, nous ne savons en revanche que bien peu de chose sur l'usage qui a pu en être fait au cours de l'histoire de Rome. Le texte qui nous est parvenu s'applique, dans sa formulation littérale, à la prise de Carthage par Scipion Émilien en ~ 146 ; mais il est loin d'être sûr que ce général ait « évoqué » les dieux de Carthage : aucun document historique en tout cas n'y fait allusion. La seule circonstance où l'on puisse penser que l'evocatio a été pratiquée est la prise de Véies en ~ 396 : d'après Tite-Live (V, 20 et 21), la Junon de Véies (sans doute une étrusque Uni) fut évoquée par Camille et installée à Rome sur l'Aventin. Le développement que Tite-Live a donné à ce récit laisse l'impression d'un événement assez exceptionnel ; si l'evocatio avait systématiquement été pratiquée lors de la prise de toute ville ennemie, ou bien la tradition annalistique le signalerait mécaniquement (comme elle le fait des actes de reddition) ou bien on n'en rencontrerait aucune mention, la chose devant aller de soi.

Au demeurant, il semble que cette procédure religieuse ait été connue en d'autres points du domaine indo-européen. Les Hittites, en particulier, connaissaient une formule pour inviter les dieux de l'ennemi à se rendre par « trois chemins » (correspondant aux trois niveaux fonctionnels de la société) dans le camp du vainqueur. Peut-être la pratique de l'evocatio appartenait-elle au vaste héritage que le monde indo-européen a légué à Rome, mais elle serait là tombée très tôt en désuétude. Le conservatisme romain suffirait en tout cas à expliquer que le texte de la formule rituelle ait été pieusement recueilli, même si l'on n'en avait plus l'usage concret.

— Jean-Paul BRISSON

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    ... auprès duquel il envoie une ambassade et auquel il promet, en cas de victoire, la dîme du butin. Grâce à un rite archaïque d'une magie efficace, l' evocatio, il invite la divinité tutélaire de la ville assiégée, la Junon étrusque, à quitter son domicile et à venir à Rome où elle sera accueillie avec...