ÉVOLUTION DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE DANS LE MONDE
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Il est d’usage de dire que la science est par essence internationale. S’il est vrai que la validité d’une connaissance scientifique ne dépend pas des particularités des individus qui la produisent et a en principe un caractère universel, il en va autrement de la distribution mondiale des recherches scientifiques, laquelle est, depuis le xviie siècle, essentiellement demeurée centrée en Europe d’abord et en Amérique à compter du milieu du xxe siècle. Force est de constater que la distribution mondiale de la production de publications scientifiques reflète le niveau de développement économique des pays. Les dix premiers pays en termes de richesse mesurée par le produit intérieur brut (PIB) sont en effet les dix plus grands producteurs de publications scientifiques selon les données recensées dans la base de données du Web of Science, de la firme Clarivate Analytics, généralement reconnue comme recensant les revues scientifiques de qualité les plus citées dans le monde, que nous utiliserons ici pour analyser l’évolution récente de la production mondiale de publications scientifiques. Scopus, une autre base de données comparable, produite par Elsevier, donne des résultats équivalents. Enfin, environ 90 % de l’ensemble des publications est produit par seulement vingt pays, soit environ 10 % des pays du monde représentant environ 55 % de la population mondiale.
On se limitera ici aux analyses de l’évolution de la production dans les sciences biomédicales, naturelles et appliquées et en mathématiques. En effet, les sciences humaines et sociales (SHS) ont, de façon générale un caractère plus local que les sciences de la nature, car leur objet est enraciné dans une histoire et une société spécifiques. De ce fait, elles se prêtent moins bien aux collaborations internationales. Aussi, contrairement aux sciences de la nature dont la lingua franca est l’anglais depuis les années 1970, les revues de SHS sont plus souvent publiées dans la langue du pays et sont dès lors moins bien représentées dans les bases de données internationales qui présentent, à ce chapitre, un fort biais anglo-saxon. Ce biais est évident quand on compare, d’un pays à l’autre, la proportion des publications en SHS recensées dans la base de données WoS. Alors que, globalement, les SHS comptent pour environ 12 % de toutes les publications du WoS entre 2005 et 2019, elles ne comptent que pour 8 % des publications de la France et de l’Italie, contre environ 17 % pour le Canada et les États-Unis et environ 20 % pour le Royaume-Uni, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Il est clair que ces chiffres reflètent le fait que les pays de langue anglaise voient leurs publications en SHS mieux recensées que celles des pays non anglophones qui, dans ces domaines (histoire, sociologie, anthropologie, etc.), publient davantage dans leurs langues nationales.
L’activité scientifique mondiale, SHS donc exclues, peut s’appréhender sous plusieurs angles. Il y a d’abord l’intensité globale des activités de recherche dans tous les domaines scientifiques que l’on peut mesurer par le nombre de publications produites chaque année dans un ensemble d’environ 13 000 revues de qualité dont environ 9 000 en sciences biomédicales, naturelles et appliquées et en mathématiques (4 000 relevant des sciences humaines et sociales). À une échelle plus fine, on peut ensuite analyser la présence relative des continents, régions et pays dans différents domaines de recherche. On peut aussi analyser les collaborations internationales entre ces régions et voir comment elles ont évolué et se sont intensifiées depuis les années 1970. Enfin, on peut tenter d’appréhender la qualité relative de la production des différents pays en mesurant le taux de citations des articles qu’ils produisent.
Distribution continentale de la science
Si l’on examine d’abord la production scientifique à l’échelle[...]
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Écrit par
- Yves GINGRAS : professeur d'histoire et de sociologie des sciences, université du Québec à Montréal (Canada), directeur scientifique de l'Observatoire des sciences et des technologies (OST)
Classification
Médias