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ÉVOLUTION

Impact et difficultés de la théorie darwinienne

Quoique 1859 marque le début d'une diffusion rapide des idées de Darwin dans les milieux scientifiques, de nombreuses résistances se manifestèrent bientôt chez ceux qui en redoutaient les suites, et particulièrement la possibilité de rendre compte de la diversité du vivant sans recourir à quelque principe téléologique que ce soit (et donc, sans Dieu). Les rapports entre doctrine transformiste et religion, qui n'avaient pas été nécessairement mauvais jusqu'alors, tendirent donc à se radicaliser, l'évolution devenant dans l'esprit de beaucoup – partisans ou opposants – le fer de lance du matérialisme athée. Dès lors les religions s'employèrent généralement à défendre le créationnisme, et les tentatives de conciliation, comme celles de Mivart en Angleterre ou de Teilhard de Chardin en France, demeurèrent marginales et en butte à toutes les suspicions. Certaines religions, cent cinquante ans plus tard, restent sur une ligne dure ; d'autres, comme le catholicisme depuis la fin du xxe siècle, admettent la réalité de l'évolution (et même du processus de sélection) mais tentent de l'intégrer dans une conception finalisée du monde.

Dans les sciences humaines, la diffusion du transformisme eut également des conséquences très importantes, mais en retour, l'appropriation par ces disciplines de la théorie évolutionniste eut tendance à biaiser son interprétation. En effet, de nombreux historiens, anthropologues, linguistes, psychologues, etc., de la seconde moitié du xixe siècle admirent avec enthousiasme le transformisme, qui offrait une base physique tangible à l'idée d'une humanité en constante modification, mais, héritiers des philosophies du progrès en plein essor depuis la fin du xviiie siècle, ils conçurent souvent cette transformation comme une amélioration, une complexification constante, et cela plus sous l'influence de Spencer que de Darwin lui-même. Le lien avec les grandes doctrines politiques et économiques en construction à l'époque, comme le marxisme, était évident. Mais de ce fait, ces auteurs, tout en donnant leur adhésion à la théorie de l'évolution, et en citant avec éloges le nom de Darwin, adoptèrent en réalité une forme de transformisme plutôt lamarckienne. Cette ambiguïté eut des conséquences profondes, car elle contribua (et contribue encore dans une certaine mesure) à répandre dans toute la société, et jusque chez de nombreux scientifiques, une vision de l'évolution qui n'était pas darwinienne.

Le destin du terme même, « évolution », témoigne de ce paradoxe. Au xviiie siècle, ce mot désignait le développement embryonnaire, conçu comme un simple dépliement dans le cadre des théories des germes préexistants. Avec la ruine de ces théories et l'essor de l'épigenèse, il devint tout simplement synonyme de « développement embryonnaire ». Or l'embryogenèse d'un individu va (presque) toujours dans le sens d'une complexification et d'un perfectionnement : lorsque, sous l'influence de philosophes comme Spencer, on commença à utiliser le terme évolution dans le sens biologique actuel (Darwin l'employa dans cette acception dans ses derniers ouvrages seulement), il revêtit immanquablement la connotation de progrès.

Cette tendance fut d'autant plus marquée qu'elle était soutenue par une conception dont la fortune fut tout à fait considérable, la théorie dite de la récapitulation, que l'on peut résumer par la célèbre formule de Haeckel, « l'ontogenèse récapitule la phylogenèse », c'est-à-dire que le développement embryonnaire d'un organisme traverse toute la succession des formes ancestrales de cet individu : un être humain, par exemple, passerait par une forme « ver », puis « poisson », « reptile », etc.[...]

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Charles Darwin - crédits : Spencer Arnold/ Getty Images

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Ernst Haeckel

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