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ÉVOLUTION

Situation contemporaine : la « supersynthèse évo-dévo »

Quels qu'ils soient, les mécanismes évolutifs pris en considération retentissent donc à tous les niveaux d'intégration. Toutefois, c'est au niveau des génomes que vont s'inscrire les « changements d'informations » qui, traités par les canaux de l'ontogenèse, soumis au crible de la sélection intra- et interspécifique, etc., constituent la base matérielle ultime des changements évolutifs. Que suggèrent les acquis récents dans ce domaine vis-à-vis de la mécanique évolutive ? On l'a déjà souligné, il était clair depuis longtemps que toute transformation évolutive entre ancêtre et descendant implique des transformations de l'ontogenèse elle-même (Garstang, 1922), et qu'à ce titre la biologie du développement constitue la passerelle indispensable entre les approches génético-moléculaires et les approches morphologico-systématiques et paléontologiques de l'évolution.

La « boîte noire » de l'ontogenèse

L'avènement de la biologie moléculaire a permis d'ouvrir la « boîte noire » de l'ontogenèse, par trop négligée par la théorie synthétique classique.

Dès 1894, William Bateson avait décrit la curieuse anomalie d'une région du corps qui porte un organe normalement porté par une autre, par exemple dans le cas de la mutation du gène antennapedia chez la drosophile, où une patte prend sur la tête la position normalement occupée par une antenne. Pendant très longtemps ces « mutations homéotiques » sont demeurées des curiosités et les gènes homéotiques, responsables de ces anomalies, sont restés inconnus. Sur la drosophile, deux équipes s'attaquent au problème dans les années 1980. Celle d'Edward Lewis s'intéresse aux mutations homéotiques de la partie postérieure du corps et celle de Thomas Kaufman à celles de la partie antérieure. La première décrit un complexe de plusieurs gènes groupés, complexe appelé bithorax, la seconde un autre complexe, appelé antennapedia. On comprendra plus tard que cette disposition est en fait une particularité relativement récente et propre aux diptères : les deux complexes résultent de la cassure d'un seul grand complexe génique ancestral qu'on appellera Hox. L'étude de la place relative des gènes dans le complexe Hox sur la molécule d'ADN et de leur mode d'action conduit à une découverte surprenante et capitale : l'ordre des gènes sur le complexe coïncide avec l'ordre de leur expression spatiale (l'un derrière l'autre) et temporelle (l'un après l'autre) dans l'embryon. Cette règle de colinéarité rend compte du fait que les gènes homéotiques successifs du complexe Hox déterminent successivement l'identité des différentes parties du corps, depuis la tête jusqu'à l'extrémité de l'abdomen. Ces gènes sont alors considérés comme des « gènes architectes », modulant l'expression d'autres gènes subordonnés. Cette interprétation va être confirmée par l'analyse moléculaire des gènes homéotiques. On découvre que tous les gènes du complexe Hox possèdent une séquence particulière, l'homéoboîte (homeobox) formée d'une séquence de 180 paires de bases nucléotidiques. Elle code pour un homéodomaine, séquence protéique de 60 acides aminés. Sa configuration spatiale est telle que l'homéodomaine peut se lier à l'ADN et c'est par cette liaison qu'il régule l'expression d'autres gènes. À ce stade, on réalise que tous les gènes homéotiques de la drosophile sont des gènes à homéoboîte, régulateurs d'autres gènes. Par ailleurs, on constate qu'ils sont apparentés et constituent une famille multigénique, issue de la duplication d'un même gène ancestral. La comparaison des séquences nucléotidiques de l'homéoboîte a permis d'établir l'ancienneté[...]

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