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ÉVOLUTION

De l'antidarwinisme aux néo-créationnismes contemporains et à leurs conséquences

On ne saurait clore une présentation de l'évolutionnisme aujourd'hui sans évoquer certaines dérives et persistantes étrangetés culturelles qui en affectent malheureusement la perception. La théorie scientifique de l'évolution, telle qu'on la conçoit en ce début du xxie siècle, est ainsi régulièrement assimilée au darwinisme par l'opinion et ses relais. Cet état de fait est sans doute défavorable à une juste appréciation à la fois de l'œuvre, fondamentale, de Darwin et de la distance séparant désormais le darwinisme initial de l'état actuel de la théorie de l'évolution.

Certes, il n'est pas question de « dédarwiniser » l'évolutionnisme contemporain, dans la mesure où celui-ci dérive directement – mais pas uniquement, comme on l'a vu – de la tradition intellectuelle inaugurée par Darwin lui-même avec le concept de sélection naturelle. Il existe donc bien, sur le plan historique, un lien culturel direct, ininterrompu et revendiqué entre la théorie actuelle de l'évolution et Darwin. Cependant, le terme « darwinisme » pour désigner cette théorie ne cesse de poser problème. D'abord, qu'avons-nous besoin de désigner d'un nom propre une théorie majeure de la science moderne ? On ne parle pas d'« einsteinisme » ou de « pastorisme », mais de la théorie de la relativité ou de la théorie infectieuse des maladies. Il y a bien longtemps que les physiciens ont renoncé à identifier leur science à la mécanique newtonienne, et cependant la mécanique issue de Newton n'en est nullement discréditée.

Ensuite, dès qu'il s'agit d'évolution, le terme darwinisme est trop souvent utilisé avec abus, parfois de façon quelque peu perverse, car il sert alors de « marqueur » pour connoter des prises de position idéologiques qui n'ont en fait rien à voir avec les sciences de l'évolution. Il est très préjudiciable que la plus unificatrice de toutes les théories biologiques modernes soit, de ce fait, tendancieusement utilisée comme une bannière. En tant que référence, le darwinisme demeure en effet ambigu car il a été historiquement récupéré par le domaine idéologico-politique au service d'attitudes et de pratiques aussi diverses que contradictoires, suscitant ainsi haines et incompréhensions. D'un côté, le darwinisme a été enrôlé, dès l'origine, au profit de diverses idéologies dites « progressistes » : positivisme, scientisme, matérialisme, collectivisme communiste, voire athéisme de combat. D'un autre coté, le concept de sélection naturelle a été indûment transposé dans les domaines de l'anthropologie, de la sociologie, de l'économie et de la politique pour prétendre justifier un effrayant cortège de théories et de pratiques : eugénisme d'État, discrimination sociale, racisme et colonialisme « naturalistes », totalitarisme, nazisme... Tout cela a eu pour conséquences, depuis plus d'un siècle, d'inimaginables souffrances pour l'humanité dans son ensemble. Toutes ces tentatives de récupérations partisanes, qui ont pu faire naître, dans le camp opposé, autant d'antidarwinismes virulents, constituent des trahisons de la pensée de Darwin. En particulier, le prétendu « darwinisme social » constitue un contresens absolu de l'anthropologie darwinienne, ainsi que Patrick Tort l'a bien montré (1997).

Compte tenu des confusions ainsi entraînées par un trop long usage du terme darwinisme hors de la science même, on pourrait donc souhaiter aujourd'hui, sans aucune ingratitude envers l'œuvre et la mémoire de Darwin, que la théorie moderne de l'évolution cesse enfin d'être appelée darwinisme, quand bien même elle demeure évidemment darwinienne.[...]

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