ÉVOLUTIONNISME CULTUREL & SOCIAL
L'évolutionnisme peut être défini moins comme une doctrine particulière que comme la tendance générale à supposer et à rechercher une loi d'évolution dans la série des changements observables ou prévisibles. C'est, bien sûr, dans le domaine biologique que l'évolutionnisme a pris sa forme la plus déterminée avec les théories de Lamarck et de Darwin sur l'évolution des espèces vivantes. L'hypothèse d'une évolution régulière dans les organisations des sociétés et dans leurs productions culturelles était cependant implicitement contenue dans bien des spéculations antérieures sur le progrès des civilisations. Mais le darwinisme allait lui donner plus de consistance, lui fournir des modèles méthodologiques et l'insérer dans une conception plus vaste.
L'évolutionnisme culturel et social était sans doute, en un sens, plus aisé à concevoir que l'évolutionnisme biologique, car il ne se heurtait pas à la fixité, au moins apparente, des espèces vivantes, puisque au contraire on trouve aisément, par l'observation courante, des exemples évidents de changement dans la vie des sociétés. Cependant, la complexité des phénomènes sociologiques, leur caractère multiforme et instable rendait plus hasardeuse la notion d'une loi régissant leur devenir. Aussi bien les critiques à l'encontre de cet évolutionnisme se sont-elles attachées à dénoncer vigoureusement l'incompatibilité d'une évolution unilinéaire avec la diversité des changements sociaux, ce qui a entraîné des assouplissements dans l'hypothèse première.
L'évolutionnisme unilinéaire
Origines et premières ébauches
Les principes fondamentaux de l'évolutionnisme culturel et social se situent au confluent de plusieurs courants d'idées émanant eux-mêmes de diverses observations. C'est, d'abord, la comparaison entre divers types de civilisations qui a pu suggérer l'idée que les uns représentaient des formes arriérées et les autres des formes avancées de la société. Ces comparaisons pouvaient être faites entre, d'une part, les nations dites modernes, celles qui sont marquées par la culture occidentale d'origine hellénique et latine, et, d'autre part, ces mêmes civilisations, à des étapes plus reculées de l'Antiquité, ou bien l'état social des peuples restés en dehors de ce mouvement historique, comme l'étaient ceux que les Anciens appelaient barbares, ou bien encore (et cela à partir de l'époque des grandes découvertes) le mode d'existence collective des populations dites sauvages ou primitives, telles que les décrivaient les voyageurs, missionnaires et ethnographes, ou enfin le genre de vie de nos plus lointains ancêtres tel qu'il apparaissait à la lumière des données de la préhistoire.
En second lieu, la croyance en un progrès de l'humanité, liée à de très anciennes traditions philosophiques mais particulièrement dominante au xviiie siècle, conduisait à interpréter les résultats de toutes ces comparaisons de telle manière que la civilisation moderne se présentait comme une étape avancée dans un processus continu, les formes sociales dites antiques, barbares, primitives ou préhistoriques correspondant à des étapes ou des arrêts dans cette même évolution vers le progrès. Enfin, les premières réflexions sociologiques, de tendance généralement synthétique, invitaient à lier les uns aux autres tous les aspects de la vie culturelle et sociale, ou à les faire tous dépendre d'un facteur déterminant (spirituel, technique ou économique), de sorte que c'était bien un processus global qui était en cause, chaque étape du développement se situant dans son ensemble sur une ligne évolutive unique et valable pour toute l'humanité. Bref, la méthode comparatiste appuyée sur l'élargissement de l'investigation anthropologique, associée[...]
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Écrit par
- Jean CAZENEUVE : membre de l'Institut, professeur émérite à l'université de Paris-IV-Sorbonne
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Médias
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