ÉVOLUTIONNISME CULTUREL & SOCIAL
Difficultés et assouplissements
Les critiques
Au sein même de la tendance évolutionniste, des doutes se firent jour, concernant le caractère unilinéaire de l'évolution. Tylor, par exemple, reconnaissait l'originalité des diverses cultures, et A. Bastian, tout en affirmant l'existence d'une loi générale du développement des sociétés, réduisait ce schéma à des « idées élémentaires » prenant des formes diverses et aboutissant à des types sociaux et culturels différents suivant les peuples. Mais c'est surtout l'action de F. Boas et des doctrines « diffusionnistes » qui marqua la réaction la plus vive contre l'influence de Morgan. Tout d'abord, Boas critiquait la méthode des « ethnologues en chambre » qui, pour forcer les faits à entrer dans leurs plans évolutifs, perdaient le contact avec les réalités observées sur le terrain. Et, d'autre part, il était plus attentif aux phénomènes d'emprunt et de diffusion d'une société à une autre à partir d'un foyer culturel qu'aux relations causales entre les diverses phases d'une succession de formes.
En général, on s'est aperçu que, même s'il y avait des constantes dans l'évolution des sociétés, il était dangereux d'en déduire des lois de transformation, et l'on a préféré s'orienter soit vers l'explicitation des cultures particulières, soit vers la recherche de structures.
Les nouvelles orientations
En France, la sociologie durkheimienne ne répudiait certes pas l'idée que l'évolution des sociétés pourrait présenter des régularités et s'inscrire dans des catégories successives. Par exemple, le totémisme paraissait représenter la forme élémentaire d'où étaient issues les religions plus développées et par conséquent en fournir les principes originels. De même, Durkheim retraçait l'évolution morphologique des sociétés globales à partir de la horde, en passant par les sociétés polysegmentaires composées, pour aboutir aux unités complexes lorsque la solidarité organique succède à la solidarité mécanique. Mais il ne pensait pas pour autant que les phénomènes sociaux pouvaient tous s'interpréter par rapport à des phases déterminées dans cette évolution globale.
De toute manière, à l'exception peut-être des structuralistes et de certains culturalistes, rares sont les anthropologues modernes qui ont totalement échappé à la tentation évolutionniste et n'ont pas établi une progression entre les divers types de sociétés. Mais rares sont aussi, en même temps, ceux qui n'ont pas été sensibles aux enseignements de Boas et n'ont pas fait prédominer la recherche des particularités sur celle des lignes générales de l'évolution humaine.
Parmi les auteurs qui représentent des formes modernes de l'évolutionnisme, on peut citer L. White, V. G. Childe, J. Steward, mais aussi plusieurs anthropologues et sociologues qui s'inspirent du marxisme pour chercher comment l'évolution de la technologie et celle des rapports de production conditionnent des formes successives d'organisation sociale.
La formule de White est bien celle d'un évolutionnisme universel, qui explique le progrès culturel par l'augmentation quantitative de l'énergie rendue utilisable. La théorie de Steward est en revanche celle de l'évolutionnisme multilinéaire et conduit à trouver des rapports de causalité et des lois générales dans les changements qui peuvent survenir au sein d'un groupe social, en mettant l'accent sur les connexions entre les divers facteurs de changement, tels que le milieu, le développement technologique, l'appareil social, les idéologies, ce qui permet de distinguer des paliers dans le progrès culturel. Childe, de son côté, renouant assez précisément avec l'évolutionnisme classique, s'est efforcé[...]
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Écrit par
- Jean CAZENEUVE : membre de l'Institut, professeur émérite à l'université de Paris-IV-Sorbonne
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