Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

EXCEPTIONNALISME, géographie

La formulation explicite du terme exceptionnalisme est utilisée pour la première fois en géographie en 1953, dans un article de Fred Schaefer (« Exceptionnalism in geography : a methodological examination », in Annals of the Association of American Geographers). Ce géographe américain entendait critiquer la synthèse proposée en 1939 par Richard Hartshorne (The Nature of Geography), considérant que ce dernier faisait de la géographie une discipline idiographique.

En effet, l'étude des relations entre les groupes humains et le milieu avait conduit jusqu'alors à mettre en évidence des combinaisons homogènes à l'échelle régionale et à en rechercher les explications pertinentes dans leurs différences, chacune de ces combinaisons apparaissant comme unique, ne pouvant faire l'objet de généralisation et d'explication par une loi. La monographie, la part faite à l'histoire de l'objet étudié, la mise en évidence de causalités internes et d'explications relevant du particulier fondent cette vision de l'exceptionnalisme en géographie. Cette approche, rarement défendue par ceux qui en firent usage, est plus réfutée que déconstruite dans les années 1950, ce qui permet néanmoins d'en dévoiler les mécanismes les plus arbitraires. La « nouvelle géographie » des années 1960, influencée par les écrits de Peter Haggett et David Harvey, qui s'organise dans une recherche de lois spatiales et d'explications scientifiques à visées nomothétiques, en accord avec le néopositivisme contemporain, dresse de l'exceptionnalisme un tableau critique radical, marquant la rupture avec l'héritage du xixe siècle et de la première moitié du xxe siècle.

En effet, à cette époque, la géographie s'est construite, comme d'autres disciplines, dans le cadre d'universités nationales, voire locales (États-Unis), où se sont mises en forme différentes idées relatives à sa pratique. Compte tenu du caractère tardif de la légitimité des préoccupations épistémologiques en géographie, il est difficile d'y rendre compte de l'influence d'une doctrine, dans la mesure où les idées ont été, la plupart du temps, empruntées à l'extérieur (darwinisme...) et ont surtout servi à conforter les assises des différents domaines de la discipline. Dans ce paysage, l'exceptionnalisme, qui a constitué un objet de débat précoce dans d'autres disciplines, possède une certaine originalité en géographie car il reste un moyen de penser la question de la spécificité des lieux au regard de l'espace qui les sépare et les relie.

Le réexamen dont a fait l'objet l'ouvrage de Richard Hartshorne, un demi-siècle après sa publication (Nicholas Entrikin et Stanley Brunn dir., Reflections on Richard Hartshorne's The Nature of Geography, 1989), témoigne d'un recul du néopositivisme, qui reste cependant plus ou moins prononcé selon les écoles géographiques nationales ou « régionales » (anglophone, par exemple). En France, le questionnement de la pertinence et de la validité de l'exceptionnalisme reste assez souvent implicite.

L'exceptionnalisme est ainsi revendiqué par la géographie humaniste. Il est plutôt considéré comme un complément nécessaire aux démarches nomothétiques dans les diverses versions de la géographie culturelle. Par ailleurs, chez les géographes ne s'inscrivant pas dans ces deux courants, l'emploi des notions de territoire et/ou de lieu, lorsque ce dernier est considéré comme la concrétisation d'un phénomène social, constitue un indicateur d'une mise à distance de la recherche de lois de l'espace.

Le débat entre approches idiographiques et nomothétiques s'est donc souvent déplacé, comme dans le monde anglophone, vers les différentes conceptions de la société en géographie. L'école représentée par la revue [...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : maître de conférence en géographie, Université de Rennes