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EXCLUSION

Un risque variable selon les modèles d'organisation sociale

Comme l'a montré Serge Paugam, le chômage ne conduit pas forcément ni toujours à l'exclusion. Cela dépend en fait et à la place dévolue aux solidarités familiales dans le mode de régulation sociale du chômage, laquelle varie en fonction de deux facteurs. Le premier est le niveau de développement économique des sociétés. L'autonomie vis-à-vis de la famille croît en effet avec le niveau de développement économique : lorsque les possibilités d'emploi sont restreintes, le risque de pauvreté est plus élevé ; il est donc essentiel de garder des relations avec sa famille pour faire face à ce risque. C'est pour cela notamment que, dans les pays du Sud, existe une tradition de solidarité familiale plus répandue que dans ceux du Nord ; c'est aussi cela, entre autres, qui explique que la probabilité de vivre seul est très variable en Europe : de 4 p. 100 des individus en Espagne à 22 p. 100 au Danemark. Le second facteur est le système de protection sociale. Plus celui-ci est développé (comme c'est le cas en Europe du Nord), moins la solidarité familiale est vitale et donc moins la famille joue un rôle central dans l'intégration sociale des individus.

À partir de ces constats, Serge Paugam a alors dégagé trois modèles idéaux types de sociétés face au risque d'exclusion. Le modèle public individualiste, qu'on retrouve notamment dans les pays scandinaves, repose sur l'idée que la société dans son ensemble a la responsabilité du problème du chômage. Ce modèle se caractérise alors par un haut niveau de protection sociale et du même coup une faible obligation pour les familles de prendre en charge ceux de leurs membres en difficulté. C'est donc un modèle qui atténue les effets du chômage. Mais il accroît aussi le risque d'isolement social dans la sphère des relations les plus intimes – c'est ainsi qu'au Danemark on trouve, parmi les chômeurs en situation de pauvreté, 41 p. 100 de personnes vivant seules, contre 2,2 p. 100 en Espagne et 1,4 p. 100 en Italie. Ces derniers pays correspondent davantage au deuxième modèle, que Paugam a qualifié de « familialiste ».

À l'opposé du premier, ce modèle rejette l'idée d'une responsabilité sociale collective face au chômage. L'aide publique est donc minime et consiste plutôt à préserver l'intégrité de la famille contre les risques de délitement de sa fonction protectrice. Ce modèle accroît alors le risque de pauvreté pour toute la famille quand le chômeur est issu d'un milieu peu qualifié, mais il limite en revanche la disqualification sociale en garantissant au chômeur un minimum de sociabilité.

Le troisième et dernier modèle est celui de la responsabilité partagée, plus présent en Europe centrale (Belgique, Pays-Bas, Allemagne, France et Grande-Bretagne). C'est celui qui présente le risque le plus élevé de rupture des liens sociaux parce qu'il repose sur l'idée que la responsabilité du chômage incombe au chômeur soupçonné de préférer le chômage à l'emploi. Cette suspicion envers le chômeur va se traduire, côté État, par une action publique limitée dans le temps et, côté famille, par le rôle résiduel qui lui est attribué. Au sein même de sa famille, le chômeur peut être mal vu, comme en attestent les ruptures conjugales fréquentes. C'est tout particulièrement net en France où, selon une étude du Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale (C.E.R.C.) datée de 1993, le taux de rupture augmente avec la précarité : la proportion de ruptures est de 24 p. 100 pour les individus dans un emploi stable, 31,5 p. 100 pour ceux qui sont en situation de travail précaire et presque 39 p. 100 pour ceux qui sont au chômage depuis deux ans.

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Écrit par

  • : docteur en science politique, maître de conférences en science politique à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne

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L'abbé Pierre - crédits : Keystone/ Hulton Archive/ Getty Images

L'abbé Pierre

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