EXCLUSION
Des espaces discriminés, discriminants et de plus en plus criminalisés
La désorganisation sociale à laquelle sont confrontées les sociétés contemporaines entraîne la formation d'espaces sociaux sinistrés, le plus souvent urbains, et aux effets ségrégatifs. Si les banlieues déshérités des grandes villes européennes sont encore loin de ressembler aux ghettos américains sur ce point, elles produisent néanmoins de l'exclusion tout autant qu'elles en sont un produit. Ainsi, le simple fait d'habiter en zone urbaine sensible (Z.U.S.) réduit notamment la probabilité de trouver un emploi dans les 18 mois et augmente de 9,2 p. 100 la durée du chômage par rapport à la durée moyenne. Cet effet discriminant touche a fortiori plus encore les jeunes, lesquels connaissent alors des difficultés accrues par rapport à ceux qui ne résident pas en Z.U.S. pour accéder au marché du travail (taux d'emploi de 23 p. 100 contre 26 p. 100) et un taux de chômage nettement plus important (38 p. 100 contre 23 p. 100). Si, en outre, ils sont d'origine étrangère, ils cumulent alors au moins trois « handicaps » qui les mettent plus facilement que d'autres sur la pente de l'exclusion, mais aussi de la criminalisation.
En effet, les exclus du marché de l'emploi, d'une part, n'ont souvent pas d'autres choix que de recourir au secteur informel, lequel s'est fortement criminalisé avec le développement du trafic de drogues. D'autre part, et surtout, ce nouveau régime de pauvreté se développe dans un contexte de décomposition des instruments traditionnels de représentation politique des groupes défavorisés (partis ouvriers, syndicats, etc.). De sorte que ces derniers sont dépourvus d'un langage collectif et d'une identité positive. Malgré l'apparition d'associations du type Droit devant, AC !, etc., ils restent ainsi à l'état de simple conglomérat composite, fait de catégories hétérogènes définies négativement par la privation sociale – comme l'indique d'ailleurs la trinité des « sans » : sans travail, sans toit, sans papiers. Cet effondrement des porte-parole laisse alors ces acteurs du secteur informel seuls face aux pouvoirs publics, en l'occurrence ceux qui leur sont immédiatement accessibles : les forces de l'ordre.
C'est ainsi qu'on a assisté à une criminalisation de la pauvreté, plus ou moins forte selon les pays. Par là, on entend, à la suite de Loïc Wacquant, le processus par lequel le traitement de la pauvreté tend à passer d'actions politiques et sociales à des actions de type pénales. Le phénomène, à vrai dire, n'est pas nouveau. Déjà au xixe siècle, on secourait les « bons pauvres » tout en poursuivant les autres pour délit de mendicité ou de vagabondage. Les pouvoirs publics ont ainsi toujours oscillé entre solidarité et répression. Mais, à l'heure actuelle, la tendance est plutôt à la répression. Aucun pays n'a en effet complètement évité un recours accru au système pénal dans ses réponses à l'exclusion ; tous ont dû réexaminer certains droits attachés à la citoyenneté (notamment les prestations sociales), même si l'action publique a varié d'un pays à l'autre. On peut ainsi schématiquement placer les politiques publiques en matière de lutte contre l'exclusion sur un continuum qui va de la criminalisation de la misère à sa politisation. À une extrémité, on trouve les États-Unis, dont la réponse aux émeutes du ghetto de Chicago en 1992 s'est principalement limitée à l'envoi de procureurs spéciaux sur place pour arrêter les personnes suspectées de crimes et pillages. À l'autre bout de ce continuum se situe la France. La réponse des autorités françaises, à la suite d'une décennie de troubles urbains, apparaît en effet nettement plus sociale que pénale : bien avant la création des zones urbaines sensibles (Z.U.S.) en 1996, le gouvernement[...]
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Écrit par
- Delphine DULONG : docteur en science politique, maître de conférences en science politique à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne
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