EXERCICES DE LECTURE (M. Fumaroli)
Professeur au Collège de France depuis 1986, élu à l'Académie française en 1995, membre de nombreuses associations internationales, invité dans les plus célèbres universités tant anglo-saxonnes qu'européennes, Marc Fumaroli se signale par une œuvre critique qui dépasse celle du grand spécialiste du xviie siècle qu'il a d'abord été. Ses prises de position, notamment la publication de L'État culturel, essai sur une religion moderne (1991) lui ont assuré la réputation d'un farouche adversaire de la culture-spectacle, en un temps où la fièvre médiatique s'emparait des institutions. Mais pour autant, et bien qu'à Paris-IV, il ait succédé à Raymond Picard, connu par ses travaux sur Racine et sa polémique avec Roland Barthes, Marc Fumaroli n'est jamais là où on l'attend. Vivacité et intelligence caractérisent sa liberté critique, capable d'embrasser la littérature de Rabelais à Paul Valéry comme dans ces Exercices de lecture (Gallimard, Paris, 2006) qui réunissent aujourd'hui des textes parus sur quarante années et qu'il a relus, récrits et unifiés pour en faire une « leçon » passionnante.
Le lecteur regrettera toujours qu'aucun quotidien n'ait jamais osé lui confier de feuilleton littéraire. Il aurait pris place dans la tradition critique française, confrontant passé et présent, et aurait, sans nul doute, offert une lecture de la littérature contemporaine propice à de féconds échanges. Car Marc Fumaroli reste un homme qu'on ne peut enfermer dans aucun présupposé, surtout pas académique. Ses admirations sont loin d'être réservées à la littérature de l'Ancien Régime, à Chateaubriand auquel il a consacré une monumentale étude en 2003, ou à la rhétorique (L'Âge de l'éloquence, 1980). Il connaît la « chose littéraire » pour en avoir écrit l'histoire, des belles-lettres à Madame de Stäel. Historien, il a exploré Réforme et Contre-Réforme, Révolution française et âge démocratique. Il a aussi contribué à rétablir de nombreux liens entre l'histoire religieuse et celle de l'écrit. À l'âge des spécialistes souvent enfermés dans des secteurs très étanches des études littéraires, Marc Fumaroli pratique l'universalité, offre une vision renouvelée de la naissance du roman moderne ; confronte Voltaire et les théologiens, donne une vision juste des Goncourt baignant dans la lumière de Rome (sa seconde patrie), ou s'attache à décrire la « rhétorique de la décadence » avec Huysmans, sur qui il a écrit une Préface essentielle pour À Rebours. Il est l'homme des humanités et de la conversation, passion française, et a redonné leur poids à des idées qui sont surtout des valeurs : la civilité, l'éloquence, le goût.
Ces Exercices de lecture, bilan d'une vie au service d'une passion, l'enseignement, entraînent à la confession. « Enfant, écrit-il, j'ai été rongé par l'ennui. [...] J'ai eu la chance de découvrir très tôt à l'humeur noire de l'enfance et de l'adolescence le remède à son propre repli, une précoce absorption dans les livres. » Le ver est dans le fruit et décide de sa voie future, prolonger le temps de la lecture par celle de l'étude au service de la scholè, temps de la formation des esprits et de la « germination » intérieure, moment privilégié d'une transmission du savoir. Et Fumaroli de revenir sur les années pendant lesquelles il s'est formé. Temps douloureux dans une Europe de l'après-guerre, où Sartre fait figure d'« usurpateur » préludant à un « carème interminable de nietzschéens staliniens, maoïstes ou khomeynistes, de linguistes et sémioticiens dynamiteurs du langage, de théoriciens du roman exsangue et voyeur ». La polémique n'est pas close mais vise bien moins les ténors de la modernité que les comportements mimétiques[...]
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Écrit par
- Jean-Didier WAGNEUR
: critique littéraire à la
N.R.F. et àLibération
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