EXISTENCE (notions de base)
La fin des grands systèmes philosophiques
Un siècle avant l’essor de l’athéisme, Emmanuel Kant (1724-1804), à la fin du xviiie siècle, et bien que croyant convaincu, porta un coup fatal aux thèses essentialistes en réfutant la célèbre preuve ontologique de l’existence de Dieu. Cette « preuve », attribuée à saint Anselme (1033-1109) et reprise par toute la philosophie classique, faisait de l’existence une perfection. L’Être suprême étant doté de toutes les perfections, et l’existence étant une perfection, il serait contradictoire de nier l’existence de Dieu défini comme l’être possédant toutes les perfections possibles.
Kant raisonne en prenant comme exemple une somme exprimée dans la monnaie de l’époque : la somme de cent thalers. S’il y avait davantage dans cent thalers réels (sous la forme d’un billet présent sous mes yeux) que dans le concept de cent thalers, cela signifierait que mon concept de cent thalers est incomplet. L’existence ne saurait donc être une propriété supplémentaire s’ajoutant aux autres qualités du billet (forme, couleur, etc.). Elle n’est en rien une propriété du concept, mais le surgissement dans le réel de l’objet imaginé avec toutes ses propriétés.
Cette démonstration permet de considérer la naissance de l’existentialisme au siècle suivant chez le penseur chrétien Søren Kierkegaard comme autre chose qu’un paradoxe. Que la majorité des philosophes existentialistes du xxe siècle se réclament de l’athéisme ne doit pas faire oublier en effet qu’il n’y a aucun lien nécessaire entre athéisme et existentialisme. C’est par son opposition à la dernière grande philosophie essentialiste, celle de G. W. F. Hegel (1770-1831), c’est par sa condamnation radicale des « systèmes » philosophiques, que Søren Kierkegaard a posé les fondements des existentialismes athées qui s’affirmeront au siècle suivant. Alors que dans le système hégélien, « le réel est rationnel » et que « rien n’arrive sans raison », Søren Kierkegaard nous place face au non-sens de notre existence. Lorsqu’un siècle plus tard, Jean-Paul Sartre écrit que « tout existant naît sans raison », il se réclame de Søren Kierkegaard. Il est alors évident qu’une dimension d’« angoisse » se love alors au cœur de la condition humaine. Parce que je suis un individu « sans raison », je dois affronter le sentiment de l’angoisse qui n’a rien d’une faiblesse coupable, mais qui témoigne au contraire de ma capacité à affronter ma condition sans chercher à me dérober à ma responsabilité. Ce sentiment d’angoisse sera quelques décennies plus tard au centre de nombreux développements proposés par Martin Heidegger (1889-1976).
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Écrit par
- Philippe GRANAROLO : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires
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