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EXISTENCE (notions de base)

Il n’y a d’existence qu’individuelle

Les individus ne pouvant trouver la moindre excuse dans une quelconque « essence » de l’homme, chacun se retrouve enfermé dans la solitude de ses choix. « Nous sommes seuls, sans excuses », écrit Jean-Paul Sartre. Un individualisme radical, déjà perceptible chez Kierkegaard, semble donc caractériser toutes les formes de l’existentialisme. Cette forme d’individualisme est également présent dans un autre courant philosophique dont se sont réclamés de nombreux existentialistes tels que Jean-Paul Sartre : la phénoménologie.

Le credo de la phénoménologie est le suivant : avant toute connaissance, avant toute mise en évidence d’une quelconque essence, il y a le primat de l’expérience individuelle. Ce qu’Edmund Husserl (1859-1938), le fondateur de ce courant de pensée, caractérisait par « un retour aux choses mêmes ». Je ne puis comprendre ce que me disent les savants quand ils affirment que la longueur d’onde du jaune est de 590 millimicrons que parce j’ai d’abord vécu l’expérience de la perception du jaune. Les constructions de la science ou de la métaphysique ne sauraient être premières, elles ne sont que des édifices de seconde main reposant sur le primat de l’expérience individuelle.

Un philosophe se réclamant du courant phénoménologique, Michel Henry (1922-2002), a particulièrement insisté sur l’unicité des individus que nous sommes. Il y a d’abord l’expérience sensible irréfutable de l’individu. Selon lui, en affirmant « Je pense », René Descartes aurait voulu en réalité dire « J’éprouve », car c’est bien cette épreuve individuelle qui est la seule vérité indubitable que nous rencontrons au cours de nos vies. Pour Michel Henry, être un individu, être un existant, c’est en définitive être un vivant, car seule la vie éprouve. « La vie se sent et s’éprouve soi-même en sorte qu’il n’y a rien en elle qu’elle n’éprouve ni ne sente. Et cela parce que le fait de se sentir soi-même est justement ce qui fait d’elle la vie », pouvons-nous lire dans La Barbarie (1987). Être un existant, c’est être un individu enfermé dans les limites de sa subjectivité.

Nous retrouvons chez Michel Henry une variante intéressante de cet individualisme radical qui caractérise les différentes formes de l’existentialisme. « Je suis l’unique, non pas parce que j’ai décidé de l’être [...] mais tout simplement parce que je sens. “On” ne sent pas [...] Sentir, c’est faire l’épreuve, dans l’individualité de sa vie unique, de la vie universelle de l’univers, c’est être déjà “le plus irremplaçable des êtres” » (Philosophie et phénoménologie du corps, 1965).

La thèse sartrienne d’une liberté radicale est porteuse de conséquences que Jean-Paul Sartre s’est efforcé d’atténuer par la suite. Le philosophe se rend compte en effet que si seule la mauvaise foi est condamnable, au nom de quoi pourrait-on condamner un « salaud » (mot très présent dans les écrits sartriens) qui se choisirait salaud en toute lucidité ? Sartre a tenu à corriger ce qu’il a perçu lui-même comme un danger de sa doctrine en mettant l’accent sur la notion d’« engagement ». Malgré l’absence d’une nature humaine, j’engage par mes choix l’humanité entière, ce qui rend contradictoires certains projets. Parce qu’« en me choisissant je choisis tous les hommes », et parce que « je ne puis prendre ma liberté pour but que si je prends également celle des autres pour but », se choisir « salaud » ne pourrait dès lors qu’être un choix effectué « de mauvaise foi ».

Mais n’ouvre-t-on pas cependant la voie à des doctrines très contestables en niant aussi radicalement l’idée de nature humaine ? Que cette idée ait pu être instrumentalisée par les pires idéologies, et que Sartre comme ses contemporains aient voulu attaquer dans leurs[...]

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Écrit par

  • : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires

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