EXOTISME
L'Extrême-Orient
Chinoiseries
Jusqu'à la fin du xviie siècle, on se représentait l'Orient surtout turc et persan ; puis les missions des Jésuites firent connaître l'Extrême-Orient. Déjà à la fin du xvie siècle, on fabriquait en Chine des porcelaines destinées au marché européen ; mais la légende littéraire de ce pays remontait au Million de Marco Polo : c'était le Cathay, l'empire de la fleur du lotus, pays de l'éternel après-midi, où s'élevait le palais de Kubla Khan (Kūbīlāy khān), que Coleridge devait rendre immortel dans un des chefs-d'œuvre de la poésie romantique. Le Million était en effet un million de mensonges, mais les Voyages de sir John Mandeville, voyages imaginaires d'un chevalier inexistant (seconde moitié du xive siècle), renchérirent sur les mensonges. Dérivés de plusieurs sources, ces racontars jouirent d'une immense popularité et, quoiqu'ils offrent plutôt un témoignage de la mentalité médiévale que des pays et des coutumes décrits, ils fixèrent une vision de l'Orient qui ne pouvait pas être démentie, car, peu après leur divulgation, la dynastie Ming, qui s'empara du pouvoir après la chute de l'empire des Tartares, inaugura une politique xénophobe qui empêcha l'entrée des étrangers pendant presque deux siècles. Une fois les relations rétablies, au commencement du xvie siècle, de nouveaux traits complétèrent l'évolution du fabuleux empire ; on exalta le caractère industrieux des Chinois, producteurs de merveilleuses soieries, leur sagesse dans l'administration de la justice, les qualités magiques de leur boisson nationale, le thé. Le jésuite Matteo Ricci révéla les préceptes de Confucius, le Hollandais Nieuhoff parla d'un empire gouverné par les philosophes, et ce fut l'origine de l'utopie chère au xviiie siècle. Leibniz, Voltaire, le physiocrate Quesnay, et, à leur suite, des souverains, des dames de la cour et des ecclésiastiques, Louis XV et Frédéric II, la Pompadour et Goethe y virent le reflet de leurs aspirations. Watteau, Boucher, Huet, Pillement soulignèrent les aspects bizarres et voluptueux du pays heureux où des mandarins aux moustaches tombantes et aux robes solennelles ornées de dragons discutaient les préceptes de Confucius sous les toits bordés de sonnettes des pavillons de jade. L'art européen fut redevable à la Chine non seulement de toute une série de motifs bizarres, libres variations sur l'art chinois, mais aussi de l'introduction de nouvelles matières, la porcelaine, la laque, et de nouveaux modes dans le traitement de l'architecture et l'agencement des jardins. Il s'agit d'un phénomène d'hybridation plutôt que d'un simple pastiche, de la fécondation artificielle de deux civilisations différentes, qui parvint à créer une espèce inédite. Désormais, chaque palais important a son cabinet chinois ; tout un style, le rococo, naquit du baroque sous l'influence de la bizarrerie orientale. À l'opposé du jardin classique, italien, il y eut le jardin chinois, appelé aussi anglais, car sa diffusion en Europe fut due à l'anglomanie continentale. Ce goût créa dans les pays du Nord une variante exotique du rococo qui a ses chefs-d'œuvre à Pillnitz, Sans-Souci, Pagodenburg, Claydon House, Alton Towers, Woburn. Ce sont là les aspects les plus connus de l'influence orientale, mais il ne faut pas oublier la contribution chinoise à la démonologie occidentale, qui se vérifia dès le Moyen Âge, lorsque les représentations d'êtres infernaux par Zhao Mengfu, peintre à la cour de Kūbīlāy khān, furent aperçues par les missionnaires franciscains et transmises grâce à eux à l'iconographie occidentale : l'enfer gothique a un caractère oriental très prononcé (démons avec ailes de chauve-souris). Et on peut aussi rappeler les armures[...]
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Écrit par
- Mario PRAZ : ancien professeur à l'université de Rome
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