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EXOTISME

Exotisme et arts

<it>Autoportrait</it>, J.-É. Liotard - crédits :  Bridgeman Images

Autoportrait, J.-É. Liotard

Lorsque Jean  Bérain, à la fin du xviie siècle, inventa ses bizarreries chinoises, il ne fit rien d'autre que de substituer des singes (les « babouineries »), des mandarins, des idoles et des parasols aux faunes, aux statues et aux éventails des grotesques de la Renaissance. Précurseur de l'engouement romantique pour le Levant, mais dénué de toute sensibilité romantique lui-même, le peintre genevois Jean-Étienne Liotard (1702-1789) vécut pendant cinq ans en Turquie, adopta le costume turc et se laissa pousser la barbe (portrait à Dresde) : il peignit plusieurs modèles en costumes turcs, telle la comtesse de Coventry (Genève, musée d'Art et d'Histoire). Au xixe siècle, l'exotisme inspira de plus en plus de peintres : on citera Delacroix, l'Ingres des bains turcs et des odalisques, Horace Vernet, Marilhat, Decamps, Fromentin, Gauguin, Henri Rousseau (le Douanier, qui s'inspira des illustrations des romans de J. Verne, et peignit une flore tropicale de fantaisie).En architecture, le pavillon de Brighton est une des dernières et plus extravagantes folies de style oriental (à rappeler aussi la pagode de Haga Park, en Suède), amalgame de motifs chinois et indiens, commandé par le prince-régent, devenu Georges IV ; la Favorita, près de Palerme, est un autre exemple du même goût. Le peintre Gustave Moreau subit l'influence de la mythologie indienne : sa Salomé dans L'Apparition (Musée d'Orsay, Paris) peut être considérée comme la suprême incarnation de l'Orient lascif et cruel, interprétation confirmée par les pages de Huysmans dans À rebours. De même que la prise de Constantinople avait favorisé l'adoption de motifs orientaux par l'art occidental, certains événements politiques ont inspiré plusieurs exotismes du xixe siècle. La campagne de Napoléon attira l'attention sur l'Espagne ; la conquête de l'Algérie fournit des thèmes de scènes arabes aux peintres français ; méconnu jusqu'alors, le Japon fut révélé par l'ouverture de relations avec l'Europe en 1863 ; la colonisation de l'Afrique et la fondation du musée de l'Homme ouvrirent la voie à l'influence de la sculpture nègre ; l'arrivée en Europe des contingents de soldats américains à la fin de la Première Guerre mondiale introduisit en Europe le fox-trot dont le rythme syncopé de ragtime était très répandu chez les Noirs de l'Amérique du Nord. D'autres danses aux rythmes encore plus syncopés et rapides, dérivées du fox-trot, apparurent, puis d'autres encore d'un mouvement plus lent et pourvues d'un refrain qui insistait sur une phrase nostalgique, en particulier les blues dont la mélodie, inspirée des anciens spirituals des temps de l'esclavage, devait surtout impressionner la sensibilité des Blancs. Enfin, autour des années 1930-1935, apparut la vogue du jazz ; cette musique influencera en particulier le compositeur américain George Gershwin (1898-1937) qui essaya d'introduire le chant nègre et le popular song dans l'opéra (Porgy and Bess).

Fred Astaire - crédits : Keystone Features/ Hulton Archive/ Getty Images

Fred Astaire

<it>Porgy and Bess</it> - crédits : Shiel/ Hulton Archive/ Getty Images

Porgy and Bess

— Mario PRAZ

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Écrit par

  • : ancien professeur à l'université de Rome

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Médias

Palais royal de Turin - crédits :  Bridgeman Images

Palais royal de Turin

<it>Autoportrait</it>, J.-É. Liotard - crédits :  Bridgeman Images

Autoportrait, J.-É. Liotard

Fred Astaire - crédits : Keystone Features/ Hulton Archive/ Getty Images

Fred Astaire

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