EXPÉRIENCE (notions de base)
La naissance de l’expérimentation
Pour quelles raisons les Grecs n’ont-ils pas inventé les sciences de la nature, qui ne verront le jour qu’à la Renaissance, alors qu’ils disposaient d’un arsenal conceptuel très suffisant pour forger une physique mathématique ? C’est probablement parce qu’ils considéraient que notre planète était plutôt chaotique, et que seul le ciel était mathématisable. Ils ont donc posé les bases de l’astronomie, mais pas de la physique. Seul Archimède (env. 287-env. 212 av. J.-C.) semble avoir mené, à propos de la pression de l’eau, des expériences proches de ce que les savants modernes ont développé. Mais il est resté isolé.
Convaincu que « la nature est écrite en langage mathématique » – toute la nature, la Terre aussi bien que le ciel –, Galilée (1564-1642) a forgé de toutes pièces la science expérimentale moderne. Mesurer le temps nécessaire pour que des boules roulant sur un plan incliné parcourent des distances, observer et mesurer la trajectoire de boulets de canon et le mouvement des pendules, autant d’expérimentations qui mettent en mouvement la science moderne. Cette science est expérimentale pour deux grandes raisons : la première est qu’il ne s’agit plus de construire des systèmes proches de ceux des philosophes, mais de déterminer quelles lois régissent la nature ; la seconde est que la nature est en un sens inobservable, car trop complexe et trop « emmêlée ». C’est donc, en quelque sorte, une nature simplifiée, reconstruite dans leurs laboratoires, que les savants vont dorénavant soumettre à leur questionnement.
Mais, si tout part de l’observation et de la mesure, cette observation est tout sauf passive. Ce que l’homme de science attend de ses expérimentations, c’est une réponse de la nature à ses hypothèses, pour les confirmer ou pour les infirmer. Lorsque la science, deux siècles après Galilée, se penchera sur les phénomènes vivants, elle confirmera cette nécessité d’une observation orientée par le questionnement, ainsi que l’affirme sans ambiguïté Claude Bernard (1813-1878) lorsqu’il conduit ses expérimentations sur les fonctions du foie. « L’expérimentateur pose des questions à la nature ; mais dès qu’elle parle, il doit se taire ; il doit constater ce qu’elle répond, l’écouter jusqu’au bout et, dans tous les cas, se soumettre à ses décisions. » Au siècle suivant, Gaston Bachelard (1884-1962) évoquera « l’union des travailleurs de la preuve », le mathématicien théoricien et le manipulateur expérimental conjuguant leurs talents afin qu’un savoir objectif se développe.
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Écrit par
- Philippe GRANAROLO : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires
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