EXPLORATIONS
Les motifs scientifiques
Dans l'histoire des explorations, des grandes découvertes et de l'« appropriation » du monde par l'Occident, la curiosité scientifique fut longtemps plus un moyen qu'une fin en soi. Les savants qui entourent Henri le Navigateur, ceux qui à un autre niveau conseillent les armateurs, comme Jean Ango, et les capitaines, tels les frères Parmentier, ont pour souci essentiel – sinon unique – de connaître les routes, d'assimiler et de transposer les savoirs empiriques des marins recueillis au cours de leur première grande navigation ou auprès des « indigènes ». Sont ainsi retenues, assimilées puis rapidement transmises les expériences séculaires des pilotes arabes, certes, mais aussi des marins chinois – dont les sept expéditions navales jusqu'à la côte orientale d'Afrique (de 1405 à 1433) ont eu lieu à l'époque où les Portugais avaient à peine dépassé Madère –, des Malais aux exploits maritimes stupéfiants et dont les navigateurs hollandais apprirent tant.
Maîtriser l'espace
La rencontre de Vasco de Gama et du plus grand pilote arabe, Ahmed ben Madjid, est celle de deux formes de savoir que la science occidentale, cartographique et nautique amalgame. Ainsi se nuancera d'« une arabophilie humaniste » l'islamophobie, moteur des premières explorations.
En une vingtaine d'années (de 1490 à 1515), les bases de l'ancienne cosmographie sont entièrement bouleversées. L'Atlantique de Séville, l'océan Indien de Lisbonne, le Pacifique d'Acapulco (et de Cadix) donnent au monde sa nouvelle forme. Mais, durant tout le xvie siècle, ce nouvel espace n'est connu que par les grandes routes qui le traversent, reliant les places européennes les plus dynamiques à ses principales parties. Elles ignorent les îles qui sont sur leurs marges, et plus encore l'intérieur des continents auxquels elles aboutissent.
La « géographie des humanistes », héritière des grands courants issus de l'Antiquité classique, prend de plus en plus en compte les effets de la révolution des mentalités qu'apportent les découvertes. Elle est stimulée par les nouvelles questions qu'elles posent. L'exploration, certes, continue de répondre à des exigences spirituelles et matérielles, mais elle est animée aussi, de façon croissante, par la curiosité scientifique, le défi que lancent au savoir les terres mystérieuses et les espaces marins hors des itinéraires devenus habituels.
À partir du xviie siècle, « se situer dans le temps et maîtriser l'espace deviennent pour l'homme occidental des préoccupations essentielles et complémentaires » (Numa Broc).
Les découvertes involontaires, fortuites des marins, des voyageurs, des missionnaires constituent un « corpus » de données et de menus savoirs que le xviie siècle – par souci utilitaire mais aussi, et de plus en plus, de façon désintéressée – va rationaliser. En France, l'ordonnance de 1689 (que rappellera celle de 1765) fait obligation à tous les officiers de tenir leur journal de navigation, portant des indications précises sur la route à suivre, les observations météorologiques, les descriptions des escales et les incidents du voyage. De cette masse d'informations tout ne sera pas – et de loin – utilisé, mais une part est retenue dans la mise à jour des cartes. Elle sert aussi, comme toutes les observations, à l'œuvre de systématisation des grands foyers de culture et d'étude de l'Europe.
Les universités (celles de Leyde et d'Oxford surtout), les académies (l'Accademia dei Lincei à Rome, l'Académie des sciences à Paris, sa doyenne la Royal Society de Londres), les institutions savantes (l'Observatoire de Paris dirigé à partir de 1672 par Jean-Dominique Cassini), les sociétés de pensée, qui se multiplient dans les capitales et jusque[...]
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Écrit par
- Jean-Louis MIÈGE : professeur émérite d'histoire à l'université de Provence
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Média
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