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EXPLORATIONS

De l'explorateur au voyageur ; du voyageur au touriste

La littérature de voyage est inséparable des explorations. Elle entretient et répand la curiosité pour les autres mondes et le goût de l'exotisme.

Les Lettres édifiantes et curieuses, publiées en Italie dès le milieu du xviie siècle, s'adressent pour la première fois au grand public lettré. Elles sont imitées. Le xviiie siècle voit éclore dans tous les pays les récits populaires de voyage. L'apogée de cette littérature est atteint au début du xixe siècle où s'imposent les revues de vulgarisation et les périodiques populaires : en France, les Annales des voyages, suivies des Nouvelles Annales des voyages, Le Tour du monde, qui de 1860 à 1914 connaît une ferveur constante, l'Année géographique depuis 1861, les Voyages illustrés à partir de 1879, l'Afrique explorée et civilisée ; en Italie, l'Exploratore de Milan (1878), l'Esplorazione de Naples (1883) ; le célèbre Cosmos allemand et surtout l'inestimable collection de la Hakluyt Society en Grande-Bretagne. Fondée en 1846 pour l'édition des récits originaux des plus notables explorations et voyages, elle a publié en un peu plus d'un siècle plus de deux cent cinquante volumes, au rythme moyen de deux volumes par an.

Le voyage s'inscrit, au xixe siècle, aux marges de l'exploration. Il touche simultanément un étroit public érudit et le grand public. Alexandre Dumas, endiablé sur toutes les routes, de Paris à Cadix et à Tunis (Le Véloce), de Russie en Italie, n'est que le plus populaire des écrivains voyageurs, de Astolphe de Custine à Théophile Gautier, de Gustave Flaubert à Maxime Du Camp, ou de ces voyageurs-navigateurs écrivains de Joseph Conrad à Henri de Monfreid...

Pierre Loti, « monomane du dépaysement », passe sa vie à entraîner le lecteur dans ses pérégrinations incessantes : Tahiti, Constantinople, le Maroc, la Chine. Aux frontières du voyage et du tourisme, il annonce l'exotisme de masse. L'explorateur pouvait dire : « Je vais là où personne n'est encore allé » ; le voyageur, « je vais là où vous ne pouvez aller » ; il restera au touriste de dire « je vais là avant vous, plus loin que vous, mieux que vous ».

La naissance des guides touristiques marque ce dernier avatar des grands voyages. Le premier Baedeker fut publié à Coblence en 1828, traduit en français en 1845 et en anglais en 1861. La collection allemande eut bientôt son homologue en France avec les Guides Joanne, et en Angleterre avec les handbooks de voyages de John Murray, les célèbres Murray's Books.

Ces monographies, minutieuses et se voulant avant tout pratiques, ont à l'époque encore un parfum d'étrangeté, avec de constantes mises en garde, une longue énumération des difficultés, sinon des impossibilités de certains itinéraires. Elles conservent au tourisme un goût d'aventure qui le valorise.

Au voyage-exploration répond l'exploration-voyage avec la publication de vade-mecum pour néophytes : Instructions générales à l'explorateur (1875), Guide hygiénique du voyageur dans l'Afrique intertropicale (1881), Manuel de l'explorateur (1889).

L'exploration garde longtemps son prestige, bien après que la matière à explorer eut disparu dans un monde rétréci et entièrement connu. Car les mythes demeurent. L'éclat des grandes découvertes et des explorations, la légende des disparus, les héros continuent d'éclairer le départ, le dépaysement. Les mythologies insulaires survivent, même devant les mornes quotidiens des îles réelles. Et le mot « tropiques » garde sa charge d'émotion et son impact, même pour ceux qui savent qu'ils ne sont plus que « tristes tropiques ». Le fil invisible de l'histoire lie le conquistador à l'explorateur, celui-ci au voyageur romantique, au touriste éclairé et jusqu'au « vacancier » d'aujourd'hui. L'espace[...]

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Amundsen au pôle Sud - crédits : Illustrated London News/ Hulton Archive/ Getty Images

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