EXPOSOME
Que devient la notion d’environnement dans l’exposome ?
Si la nouveauté réside avant tout dans le recours aux technologies omiques pour mesurer les expositions, on comprend que les investissements et les recherches sur l’exposome se concentrent, en tout cas dans un premier temps, sur l’amélioration de la mesure de l’environnement interne, comme dans trois grands projets européens : Health and Environment-wide Associations based on Large population Surveys (HEALS), Human Early Life Exposome Study (HELIX) et EXPOsOMICs. Mais cette acception de l’environnement s’apparente fortement au concept de « milieu intérieur » tel que développé par Claude Bernard. Or quel rapport le milieu intérieur a-t-il avec l’environnement tel qu’il est conçu par l’épidémiologie traditionnelle ?
Dans cette dernière et en santé publique en général, l’environnement renvoie plutôt à tout ce qui ne relève pas de la physiologie de l’organisme et il est souvent abordé à un niveau populationnel d’analyse dans le cadre d’études dites écologiques, c’est-à-dire des comparaisons entre populations. Des facteurs génétiques ont plus de chance d’être identifiés dans le cadre de comparaisons de niveau individuel, c’est-à-dire à l’intérieur d’une population. Les EWAS (environment-wide association studies), grandes études de cohortes de niveau individuel lancées dans le but d’identifier des corrélations entre maladies et environnement, sont calquées sur la méthodologie des GWAS (genome-wide association studies), qui consiste à analyser le génome d’un grand nombre d’individus atteints d’un problème de santé et à identifier les variations partagées par ces individus qui pourraient en être responsables. Avec la concentration des recherches sur la mesure de l’exposome interne et une conceptualisation de l’exposome en miroir du génome, le niveau individuel – voire moléculaire – de conceptualisation de l’étiologie devient le niveau privilégié.
De fait, on observe que la notion d’environnement tend à disparaître dans la littérature sur l’exposome au profit de celle d’exposition. Certains considèrent que la notion d’environnement est trop vague et difficile à définir, d’autres, comme Rappaport, qu’elle est trop restrictive car trop associée dans les esprits uniquement à la « pollution », alors que l’exposome, comme complément du génome, s’intéresse à « tout ce qui n’est pas génétique ». On voit bien ici les divergences disciplinaires : pour les chimistes et les toxicologues, l’environnement c’est la pollution, ce qui est loin d’être le cas pour des épidémiologistes. Même si la notion qui y est associée est assez vague, il désigne pour ces derniers, si l’on suit John M. Last dans le dictionnaire d’épidémiologie qui fait référence (1995), tout ce qui est « externe à l’hôte humain individuel. Il peut être divisé en physique, biologique, social, culturel, etc., tout ce qui peut influencer l’état de santé des populations ».
Par suite, le risque n’est-il pas ici celui d’une « biomédicalisation » de l’environnement, au sens d’une « biologisation » et d’une individualisation de ce dernier ? Les critiques du prétendu « tournant environnemental » postgénomique, en particulier celles formulées dans le cadre des recherches épigénétiques, seraient dès lors aussi valables pour la science de l’exposome. La question est ouverte de savoir quelle place sera faite à la prise en compte d’expositions macrosociales et structurelles qui ne sont pas visibles ni mesurables au niveau individuel ou moléculaire. L’étude de la source de ces expositions et de leurs inégales distributions pourrait être largement secondarisée, car jugée moins accessible au type de précision et de standardisation de la mesure que l’on espère atteindre au niveau de l’exposome interne et grâce aux nouvelles [...]
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Écrit par
- Élodie GIROUX : professeure des Universités en philosophie des sciences et de la médecine, université Jean-Moulin Lyon-III
Classification
Médias
Autres références
-
SANTÉ ET ENVIRONNEMENT
- Écrit par Gabriel GACHELIN
- 7 764 mots
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