EXPOSOME
L’exposome : avec ou sans les sciences sociales ?
Si l’essentiel des promesses de l’exposome repose sur l’approche par les biomarqueurs et les méthodes omiques, une science socialement responsable doit avoir conscience de leurs limites. Or celles-ci avaient déjà bien été identifiées dans le cadre du débat suscité par le développement de l’épidémiologie moléculaire. À propos des biomarqueurs se pose notamment le problème de leur validité, spécificité et sensibilité. Leur supériorité sur d’autres méthodes de mesure de l’exposition, plus simples et moins invasives, n’est pas d’emblée acquise si l’objectif est bien d’améliorer les inférences causales dans le but d’interventions efficientes pour améliorer la santé individuelle et populationnelle. Leur principal avantage, le fait de mesurer la dose biologiquement effective, peut se muer en un inconvénient notable : il est parfois difficile de savoir si l’on mesure l’effet biologique, le contaminant, une susceptibilité ou un stade du processus de maladie. Une telle confusion peut éloigner des promesses de progrès dans l’analyse causale reliant l’exposition à l’effet de santé. À ces défis s’ajoutent celui du traitement et de l’analyse de données massives et très hétérogènes et le problème de la dimensionnalité, c’est-à-dire le fait que la difficulté de l’analyse des données s’accroît de façon exponentielle avec l’augmentation de la dimension de l’espace des données. Il faut des cohortes de très grande taille pour faire ressortir des corrélations faibles et les effets de synergie. Existe aussi le risque de négliger des informations qui ne peuvent pas entrer dans le modèle d’une approche quantifiée et standardisée, du fait notamment de leur trop grande hétérogénéité ou du niveau d’organisation dont elles relèvent, mais qui sont pourtant déterminantes pour la santé de telle ou telle population.
Les risques d’une « molécularisation » de l’environnement et d’une subordination de l’ensemble de l’épidémiologie à l’épidémiologie moléculaire, associés à une négligence de la prise en compte des déterminants structurels et sociaux de la santé, ont conduit des sociologues à promouvoir la notion de « socioexposome ». Il s’agit alors d’insister sur l’importance d’inclure dans le concept d’exposome et son interdisciplinarité revendiquée l’expertise propre aux sciences sociales. On voit bien ici que le caractère intégratif et holiste de l’exposome varie selon les orientations prises. D’un côté, la recherche se focalise sur le milieu intérieur et les technologies omiques pour obtenir des données précises et quantifiées. De l’autre, la recherche entend déployer une approche multiniveaux tenant effectivement compte de l’ensemble du spectre des expositions en s’intéressant aussi à mieux identifier et mesurer les sources des expositions à un niveau supra-individuel à partir d’approches plus qualitatives, comme les questionnaires et des enquêtes socio-anthropologiques. Dans ce type de recherche multiniveaux et biosociale, le défi est alors d’articuler des données et des variables de sources et de natures très différentes et dont la robustesse varie.
L’enjeu de la recherche sur l’exposome est alors de préciser l’étendue, la nature et l’intensité de son projet intégratif, en ayant pour visée d’améliorer effectivement la santé des individus et des populations. Une intégration plus proche d’un pluralisme interactif qui fait place aux méthodes et concepts des sciences sociales a peut-être plus d’avenir et de fécondité qu’une intégration forte et restreinte, proche d’une forme d’unification réductive du côté des sciences biomédicales, dont le risque est de subordonner la recherche en santé-environnement à une technologie spécifique et nécessairement partiale. Si ces recherches sont heuristiquement prometteuses et si certaines[...]
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Écrit par
- Élodie GIROUX : professeure des Universités en philosophie des sciences et de la médecine, université Jean-Moulin Lyon-III
Classification
Médias
Autres références
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SANTÉ ET ENVIRONNEMENT
- Écrit par Gabriel GACHELIN
- 7 764 mots
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