EXPRESSION, philosophie
Ensemble de données perceptives offertes par un être à un moment donné du temps et qui fonctionnent comme des signes manifestant, révélant ou trahissant les émotions, les sentiments et les intentions de cet être.
Les sources historiques du concept d'expression appartiennent à la philosophie néo-platonicienne, au spinozisme et à la pensée leibnizienne, enfin à la philosophie hégélienne. Pour le néo-platonisme, l'Un se manifeste, s'explique et s'exprime dans le multiple ; cela a une influence sur la théologie : le monde (création) et les noms divins (révélation) sont des expressions diverses de Dieu. On retrouve ici une perspective immanentiste et panthéiste. Spinoza utilise la notion d'expression précisément pour éliminer l'idée traditionnelle de création, pour résoudre certaines difficultés du cartésianisme et écarter relativement le sujet pensant. La définition leibnizienne de l'expression présente un aspect très général et formel : « Une chose en exprime une autre lorsqu'il y a un rapport constant et réglé entre ce qui peut se dire de l'une et ce qui peut se dire de l'autre. » Il y a une universalité ontologique du domaine de l'expressif, qui se restreint singulièrement au xixe siècle. La conception hégélienne coïncide largement avec celle du sens commun. Enracinée ontologiquement, l'expression remplit une fonction à l'égard de l'être : monstration, manifestation, dévoilement ; à l'égard d'un être déterminé, le vivant (par assimilation, le portrait ou le paysage) ; elle communique la vivacité du vivant, qu'elle actualise et vivifie, et se distingue par là de l'apparence, du phénomène ou de l'indice (qui appartiennent aux choses ou aux situations). D'autre part, en vertu de la nature de ce qui s'exprime et par le procès même d'expression s'effectue une différenciation dialectique entre l'intériorité et l'extériorité. C'est sur ce rapport que Hegel fonde ses principales déterminations esthétiques. La vertu de l'art consiste dans la liaison, « l'affinité, la pénétration intime de l'idée et de la forme » ; le symbole artistique n'est pas « un signe arbitraire ou indifférent, mais un signe qui dans son extériorité même comprend le contenu de la représentation qu'il laisse apparaître ». Seule la forme humaine est apte à manifester l'esprit, tandis que « l'œil laisse voir dans l'âme humaine ». Enfin, la suite des arts dans l'histoire, de l'architecture à la poésie, représente une progression dans l'adéquation du rapport expressif. Dernier trait caractéristique : l'expression résulte de l'exercice d'une causalité immanente à son effet ; au xxe siècle, s'exprimer devient être cause, imprimer sa trace sur le monde.
La fonction expressive du langage se distingue de ses fonctions référentielle, descriptive, informative, impérative. Est expressif dans le langage ce qui renvoie non à un objet ou à un état de choses, mais à une propriété ou un événement du sujet parlant : état émotif, représentation. Rousseau y voit la source du langage, « né non des besoins mais des passions » (Essai sur l'origine des langues, 1761). Par ailleurs, bien que l'accord soit aujourd'hui unanime pour récuser l'idée d'une pensée autonome dans sa spiritualité, informulée et intuitive qui chercherait en un temps second à se « revêtir » de mots, la distinction de la pensée et de l'expression doit d'une certaine manière être maintenue (comme le montre la quête du mot juste chez l'écrivain). « La pensée ne s'identifie pas à l'expression, écrit E. Ortigues, bien qu'elle rende possible par elle sa propre identification [...] L'expression ne s'identifie pas à ce qu'elle exprime et qui se pose pour soi comme pensée » ([...]
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Écrit par
- Françoise ARMENGAUD : agrégée de l'Université, docteur en philosophie, maître de conférences à l'université de Rennes
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