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POUND EZRA (1885-1972)

Le théoricien de la poésie

Conscient de tout l'héritage culturel gréco-latin, passionné de poésie provençale, fervent admirateur des préraphaélites, de Browning, de Swinburne, Pound se trouve soudain en 1909 confronté à T. E. Hulme ; c'est à ce dernier qu'il doit de s'être libéré de ses premières idoles pour se consacrer à l'analyse de la poésie contemporaine. L'imagisme naît ainsi du hasard et des échanges de jeunes humanistes passionnés d'art. Les réunions du Poet's Club seront fertiles. Pound s'informe, découvre Remy de Gourmont, Laurent Tailhade, exalte Flaubert, Gautier. Pour sa part, Hulme, l'auteur du recueil posthume Speculations (1924), annonce une nouvelle forme d'art qui serait fondée sur le refus de la facilité : ardu, volontaire, tout tendu vers l'expression exacte de l'émotion ou de l'idée à communiquer, l'art renonce aux lignes fluides de l'impressionnisme pour satisfaire à l'exigence d'une plus grande austérité. « Il est essentiel de prouver que la beauté peut exister dans le petit, l'aride », affirme Hulme.

En mars 1913 paraît dans Poetry (revue fondée l'année précédente par Harriet Monroe à Chicago) le célèbre article de Pound où figurent les trois principes imagistes, à savoir : présenter directement l'« objet », qu'il soit d'ordre subjectif ou objectif ; n'utiliser en aucun cas des mots qui ne contribuent pas à cette présentation ; en ce qui concerne le rythme, composer en suivant la phrase mélodique et non pas en suivant le métronome.

En 1913 également, en possession des manuscrits de Fenollosa (fervent explorateur de la culture sino-japonaise, à la fin du xixe siècle) et de son étude sur le caractère des mots chinois, Pound s'inspire de l'idéogramme. La poésie chinoise, « aussi vivante qu'un tableau, aussi souple que la voix humaine », écrit-il, répudie toute ambiguïté : le mot est vrai, fondé sur la sincérité, il ne « vacille pas ». (On pense, à ce sujet, à la traduction de Pound, Confucius : the Unwobbling Pivot and the Great Digest, où se trouve résumée l'éthique de Confucius, toujours intimement associée à la précision et à la clarté du langage, de même qu'aux Confucian Analects de 1951.)

L'année suivante, Pound rompt avec le mouvement imagiste : Amy Lowell a transformé la pureté du mouvement imagiste en une caricature « amygiste ». Pound se consacre alors, avec Wyndham Lewis, au vorticisme : dès le 20 juin 1914, dans le premier et unique numéro de la revue Blast, il salue la naissance du vortex, condamnant futurisme et décadence.

Le passage de l'imagisme au vorticisme n'implique pas pour autant que Pound ait changé d'intentions. Bien au contraire, il convient de souligner la continuité qui se manifeste aussi bien dans son œuvre critique que dans son œuvre poétique. En effet, voici la définition que Pound donnait de l'art, en 1913, et en particulier sa conception de l'image : « Il se peut qu'on en vienne à croire que ce qui importe en art, c'est une sorte d'énergie, quelque chose qui serait plus ou moins comparable à l'électricité ou à la radio-activité, une force de transfusion, de fusion et d'unification... Une « image » est ce qui présente instantanément une somme intellectuelle et affective. »

Cette définition de l'« image » est identique à celle qu'il donne du « vortex » (point maximal d'énergie) : « Le vortex, écrit-il, est synonyme de l'efficacité la plus grande. » Dans les deux cas, l'image est fulguration, elle aveugle par un excès de lumière, elle tue l'usure des mots en leur rendant la vertu d'étonner.

En 1931, la revue Poetry publiait le programme « objectiviste » que Pound avait inspiré. Son disciple, Louis[...]

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Ezra Pound - crédits : David Lees/ Corbis/ VCG/ Getty Images

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