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FABLE, notion de

« Fable », issu du latin fabula, est le terme que le théâtre utilise traditionnellement pour désigner l'histoire racontée – là où le grec, et la Poétique (env. 340 av. J.-C.) d'Aristote tout particulièrement, emploie le terme muthos. Selon Aristote, la fable est le plus important des constituants, « le principe, l'âme pour ainsi dire », de la tragédie comme de l'épopée. En effet, la représentation est avant tout représentation d'actions, et secondairement seulement de caractères. Le terme de fable désigne alors l'ensemble des actions que propose la fiction ; plus précisément encore, il recouvre « l'agencement des actes accomplis » : c'est leur « configuration » (Paul Ricœur, Temps et récit, 1980-1983) qui importe avant tout, la manière dont leur succession et leur articulation logique – leurs liens de cause à effet, en particulier – constituent un tout, avec un début, un milieu et une fin, harmonieusement proportionné comme un « bel animal ». La fable reste cependant globale, et ne rentre pas dans le détail des articulations et des micropéripéties. La précision de ces entrelacements relève, elle, de la notion d'« intrigue ».

Le primat de la fable, posé par Aristote, a déterminé toutes les poétiques, théâtrales ou romanesques, jusqu'à la modernité : la cohérence interne de l'histoire racontée ou représentée est en effet la première condition d'effectivité de la mimèsis littéraire. Mais, alors que les genres narratifs et la critique qui s'y rattache privilégient les termes d'histoire et de diégèse, l'usage du terme de fable au fil des siècles est spécifique des théories théâtrales. Dans les autres genres, le seul usage important du terme est celui que l'on retrouve pour désigner un genre bien particulier de poésie : celui qui, à partir de l'héritage oriental du Pañcatantra et des Grecs Ésope et Phèdre, conduit à La Fontaine. Dans ce genre poétique narratif, la finalité réside non pas dans l'expression lyrique, mais dans une histoire racontée – tout l'art du poète étant celui de la construction d'un récit, et toute la leçon pouvant être tirée de l'histoire elle-même dans la clôture de son dénouement.

Si c'est le théâtre qui s'est le plus spécifiquement interrogé sur le statut et les principes de la fable, c'est bien sûr parce que, mimèsis en acte et non assumée par un narrateur, sa construction et sa cohérence fictionnelle reposent uniquement sur l'agencement des faits représentés. Le terme peut également désigner alors, dans le vocabulaire des auteurs classiques, l'histoire-matériau (source originelle, généralement empruntée à la tradition ou aux historiens antiques) à partir de laquelle l'auteur construit l'action de sa pièce : le récit premier, chronologique et linéaire, qui précède logiquement la construction poétique par laquelle le dramaturge le transforme, en le configurant, en action dramatique. Conformément à la conception aristotélicienne, la clarté et la cohérence de la fable, l'organicité qui doit la caractériser, sont au principe même – ne serait-ce qu'au niveau de l'exigence d'unité d'action qu'elles impliquent – de la logique dramatique qui préside à l'écriture théâtrale. Mais il est évident que tous les bouleversements de la forme dramatique qui caractérisent, à partir de la fin du xixe siècle, le drame moderne (Peter Szondi, Théorie du drame moderne, 1956) affectent tout particulièrement le primat de la fable et l'organicité qui devait lui être propre : de la même manière que la littérature narrative s'emploiera à perturber la linéarité et la simplicité de la diégèse, le texte théâtral favorisera « le développement erratique voire anarchique et, dans une certaine mesure,[...]

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Écrit par

  • : professeur en études théâtrales à l'université Paris-Nanterre, unité de recherche HAR - Histoire des arts et des représentations

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