FABLE
D'Ésope aux « renardies »
Ésope, poète aussi légendaire qu'Homère, aurait vécu en Grèce au vie siècle avant J.-C. Le recueil qui nous est parvenu sous son nom comporte environ trois cents brefs récits en prose, souvent accompagnés d'une courte moralité. À ces récits il faut ajouter la Vie d'Ésope, esclave phrygien, fable qui joue le rôle d'un véritable « mode d'emploi ». Il s'agit d'un conte, ou d'une rapsodie de contes, qui nous présente les épreuves et les problèmes que le fabuliste légendaire dut affronter et résoudre, tantôt pour répondre à des accusations calomnieuses, tantôt pour que son maître consente enfin à l'affranchir. Au-delà des anecdotes se précise la caractéristique essentielle du genre : le mentir-vrai. Là où la société emprisonne ou tue ceux qui disent la vérité, l'artiste est acculé à la « feinte », au « dire sans dire ». Et quelle meilleure ruse que de faire parler les animaux ? Les puissants du jour sont réduits à l'impuissance, car se fâcher reviendrait à avouer qu'ils se sont reconnus.
Autre étape de l'évolution de la fable, au premier siècle de notre ère : Phèdre. D'origine thrace, mais citoyen romain, il restructure le genre. La fable reste concise, mais devient, par sa construction même, une comédie ou un petit drame aux effets soigneusement préparés.
Sous le Bas-Empire et tout au long du Moyen Âge, les contes animaliers connaissent un double destin. Dans leur forme originale, ils continuent à être racontés aux veillées, dans les campagnes, comme l'atteste par exemple Noël du Fail dans ses Propos rustiques et facétieux ; christianisés, dans le sillage des paraboles, ils se transforment en exempla, à l'appui des prêches. À un autre niveau d'élaboration, tour à tour oral et écrit, le genre connaît un essor considérable : tantôt brève histoire pour rire, en vers (ysopet, lai ou fabliau), tantôt cycle de contes d'animaux rehaussés d'allusions politiques, comme les diverses branches du Roman du Renart, violente et savoureuse satire des injustices de la société féodale. On notera que les traits typiques des animaux de la fable, suivant l'époque et les intentions de l'artiste, peuvent évoluer au point de changer de sens : le renard, en trompant le trompeur, finit par devenir un personnage positif ; l'âne, symbole de la sottise, apparaît souvent comme celui de l'humilité et de la patience, une patience qui pourrait bien ne pas durer toujours.
Les fables ont un autre emploi essentiel : la pédagogie. À une époque où l'enseignement est austère et se fait essentiellement en latin, les fables d'Ésope et de ses émules, souvent illustrées, sont vite identifiées comme de remarquables instruments de travail scolaire. Ésope, diffusé dès le début de l'imprimerie, s'enrichit de beaucoup d'autres versions de contes animaliers ou de gloses : les fables d'Aphthonius, de Babrias, d'Avienus, d'Abstemius, de Faërne. Dans les collèges, l'enfant traduit ces fables latines et grecques, mais il est invité aussi à les refaire, à les amplifier en développant les « circonstances », à « argumenter » à leur sujet, à disserter sur leur « morale ». La diffusion des fables s'effectue aussi par les emblèmes, hybridation du genre, très pratiquée par les humanistes : un titre bref, de forme souvent proverbiale, précède une gravure, généralement très soignée, qui raconte la fable en image ; suit la fable elle-même ; vient enfin un long commentaire qui précise à la fois l'anecdote et sa signification. Ces recueils – dont le plus célèbre est celui d'Alciat (1531) – ont un très grand succès au xviie siècle. Nous savons ainsi que La Fontaine a apprécié et utilisé les recueils plusieurs fois réédités de Baudoin[...]
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Écrit par
- Marc SORIANO : docteur ès lettres et sciences humaines, professeur émérite à l'université de Paris-VII-Jussieu
Classification
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