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FABLE

Le dernier des fabulistes ?

Faut-il, avec l'entomologiste J. H. Fabre, s'étonner des « grossiers non-sens » de La Fontaine et rappeler que la cigale n'est ni granivore ni insectivore ? À ce compte, pourquoi ne pas incriminer aussi l'étrange erreur de ces bêtes qui parlent et qui chantent ? Le fabuliste a sans doute su que les cigales disposent d'un délicat suçoir à sève, mais peut-on lui tenir grief d'avoir maintenu, dans une fable brève, la typologie traditionnelle qui, du reste, respecte la vérité à propos des rapports peu cordiaux qu'entretiennent l'espèce des fourmis et celle des cigales ?

Les Fables de La Fontaine ne nous dispensent pas, c'est certain, de suivre les progrès de l'entomologie contemporaine ; leur mérite – et leur réussite – est ailleurs : dans la convenance complexe entre un genre souple et un esprit libre et inventif, attentif aux événements importants et aux grands courants de pensée de son temps. Héritier de traditions multiples, respectées et approfondies avec bonheur, La Fontaine a transformé la fable en elle-même et en tout autre chose : rapsodie de contes animaliers et essai philosophique, comme le Discours à Madame de La Sablière (IX, 20) ou scénario plein d'imprévu et vagabondage lyrique comme Les Deux Pigeons (IX, 2).

La réussite de La Fontaine a-t-elle tari le genre ? Il est certain que les fables de Florian, souvent habiles et gracieuses, souffrent de la comparaison. Mais l'erreur, justement, n'est-elle pas de vouloir comparer ce qui ne doit pas l'être ? Plusieurs fabulistes, en évitant d'imiter La Fontaine et en recherchant un autre ton dans leurs traditions nationales, ont atteint une notoriété justifiée : ainsi, en Angleterre, les fables de John Gay (1726), en Allemagne, celles de G. E. Lessing (1759), en Espagne, celles de T. de Yriarte (1782). Le plus célèbre de ces rénovateurs de la fable reste Ivan Andreievitch Krylov (1768-1844). Ses fables sont élaborées à partir de contes d'animaux du terroir russe ; bien qu'adaptées à l'actualité du temps, elles la dépassent par un « parti pris des choses » plein d'ironie ; elles restent vivantes aussi par leur langue, imagée et savoureuse, riche en expressions proverbiales et en trouvailles qui sont vite devenues populaires.

Mais faut-il limiter la fable, qui a été si longtemps cyclique et de tradition orale, à ses formes les plus brèves et au support de l'imprimé ?

Le courant animalier, enrichi par les relations des grands voyageurs et par les observations des zoologistes, s'est renouvelé dans des cycles romanesques d'une grande qualité artistique : ainsi les deux Livres de la jungle du Britannique R. Kipling, l'Appel de la forêt et autres romans consacrés aux animaux du grand Nord de l'Américain Jack London, qui sont vite devenus des classiques de la littérature pour adolescents. Parallèlement, le progrès des sciences naturelles et leur vulgarisation ont rejeté les animaux prétextes de la fable dans la littérature pour les plus jeunes. En inversant les caractéristiques traditionnelles de quelques fauves, en particulier celles du loup, Marcel Aymé, dans les Contes du chat perché, leur a inventé des aventures pleines de grâce et de malice.

La fable a paru trouver un nouveau souffle dans le secteur du dessin animé, avec les courts métrages de Walt Disney, largement diffusés par le cinéma, la presse et le livre. Mais Donald le Canard et Mickey la Souris se sont révélés des héros ambigus. Dans des scénarios qui semblent anodins, ils distillent et banalisent un individualisme cynique et sans scrupules, très éloigné de l'humanisme fondamental de la fable.

Ce n'est pas une raison de douter de l'avenir de ce genre qui a déjà resurgi tant de fois de ses cendres. Le besoin du public contemporain en œuvres courtes, réfléchies[...]

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Écrit par

  • : docteur ès lettres et sciences humaines, professeur émérite à l'université de Paris-VII-Jussieu

Classification

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  • APOLOGUE, genre littéraire

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