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FABLIAU

Une écriture du jeu

Le fabliau suppose une élaboration littéraire. Si un certain nombre de textes méritent d'être qualifiés de « littérature des indigents » (J. Bédier), d'autres sont de petits chefs-d'œuvre (Trois Dames de Paris, Tresses, Trois Aveugles de Compiègne par exemple). La brièveté (quelques centaines de vers en général) engendre rapidité, vérité et naturel ; la rime permet tous les jeux avec le langage ; l'octosyllabe favorise une écriture directe, peu ornée, où tous les détails ont une valeur fonctionnelle. La peinture des personnages, juste esquissée, se fait surtout à travers les dialogues. La structure des œuvres est souvent simple : tantôt linéaire, ou « à point de bascule » (R. Dubuis), tantôt avec un dépassement des données initiales (Estormi, Vilain Mire), elle se fonde toujours sur un ou plusieurs effets de surprise, à la manière du Roman de Renart qui se développe à la même époque. Par nature, les fabliaux appartiennent au style bas, qui se caractérise par l'emploi exclusif de termes du vocabulaire courant (voire grossier et obscène), par l'absence de rhétorique savante, par un niveau syntaxique simple et clair, enfin par un registre sociologique particulier (la haute société n'y est qu'exceptionnellement représentée).

Ce niveau stylistique a pu causer de regrettables erreurs d'interprétation. J. Bédier, après avoir réfuté la thèse de l'origine orientale de ces contes (défendue au xixe siècle par G. Paris), a cru voir en eux un pur produit de l'esprit bourgeois. Cette thèse, trop radicale, a été contrebattue en 1957 par P. Nykrog qui voyait dans les fabliaux un « burlesque courtois » par lequel les classes supérieures se seraient moquées des inférieures cherchant à les « singer ». Mais, s'il est certain que le système de valeurs que l'on rencontre dans les fabliaux est aristocratique, il faut avouer que l'on ne trouve guère cette « courtoisie des vilains » qui susciterait le rire. Le monde des auteurs de fabliaux est divers, comme leur vision des choses, et évoquerait plutôt celui des jeunes clercs non tonsurés : à coup sûr monde de la jeunesse, accablant de ses sarcasmes celui des gens assis.

Au fond, le grand ressort de l'écriture des fabliaux, c'est le jeu. Jeu sur l'illusion d'abord, dans tous les fabliaux un peu complexes. Jeu avec la morale, dont on ne sait plus toujours si elle est un point de départ sérieux ou un prétexte, un masque ; jeu avec la langue aussi, dans les meilleures œuvres ; jeu avec les tabous, constamment transgressés, mais que le recours à la métaphore continuée transforme en jeu littéraire (La Demoiselle qui ne pouvait ouïr, L'Esquiriel) ; jeu avec les personnages, trompeurs ou trompés (et souvent les deux à la fois), et avec la société, dont l'ordre perturbé est presque toujours finalement rétabli. En dépit de certaines apparences, les fabliaux ne sont pas une littérature de type carnavalesque : le monde de la fête ne prépare jamais des régénérations, et les barrières sociales ne sont jamais vraiment entamées. La grande liberté du contenu cache une vision largement conservatrice, et l'irréel est bien le sens des réalités trop crues.

— Dominique BOUTET

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