FAIT DIVERS
Fait divers, journalisme et société
Le succès de la chronique du fait divers pose des problèmes à la fois aux journalistes et aux sociologues.
Ce goût pour le fait divers manifesté par le public ne contraint-il pas parfois la presse, pour des raisons purement économiques, à créer des pseudo-événements, à distordre la réalité pour faire passer l'anecdotique devant le social ou le politique ? En effet, il est avéré que le tirage du journal augmente quand il titre sur un fait divers typique : infanticide ou cambriolage particulièrement osé. Ce grossissement de certains événements peut avoir des conséquences dramatiques sur les personnes impliquées : c'est l'objet de la nouvelle d'H. Böll, L'Honneur perdu de Katharina Blum, dans laquelle l'auteur dénonce les dangers des débordements mensongers de la presse à sensation. Il s'agit là d'un problème de déontologie professionnelle : jusqu'où le journaliste a-t-il le droit d'aller dans les hypothèses et les suppositions, au risque de nuire directement ou indirectement aux personnes impliquées ? Le mécanisme de ces enquêtes très approfondies dans l'intimité de la vie privée menées par la presse à sensation a été décrit par G. Wallraff, dans Le Journaliste indésirable à partir de l'exemple du premier quotidien allemand Bild Zeitung, qui fonde son succès sur l'exploitation des faits divers. Il montre comment la satisfaction de la curiosité des lecteurs avides de toujours plus de détails, de toujours plus de précisions passe avant les considérations morales ou déontologiques auxquelles devraient souscrire les journalistes.
Par ailleurs, certains sociologues et professionnels de la justice jugent sévèrement cette rubrique du fait divers, en particulier quand il s'agit de faits divers sanglants. Ils pensent que, tout en satisfaisant les penchants refoulés par les contraintes sociales de la plupart des lecteurs, elle peut, dans certains cas, inciter des individus à s'identifier réellement aux acteurs des récits rapportés et, donc, à passer eux aussi à l'acte, criminel par exemple. La description de la violence quotidienne entraîne tout à la fois l'indifférence et la terreur : elle peut provoquer dans l'opinion publique un sentiment d'insécurité susceptible d'entraîner l'adhésion à des idéologies politiques autoritaires qui fondent leur argumentation sur la nécessité de renforcer la sécurité – ce qui conduit, à terme, à restreindre les libertés publiques et privées. Or, s'il ne semble pas que le spectacle de la violence ait une incidence directe sur les comportements délinquants, il peut en avoir sur les mentalités et les opinions d'un public que ces faits angoissent.
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Écrit par
- Christine LETEINTURIER : maître de conférences honoraire à l'université de Paris-II-Panthéon-Assas, Institut français de presse
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