RINGGOLD FAITH (1930-2024)
L’artiste afro-américaine Faith Ringgold – née Faith Willi Jones – commence à peindre au tournant des années 1960 avec pour ambition de donner à la communauté noire de son pays une visibilité et un récit qui lui ont été déniés depuis des décennies, du fait de la colonisation, de l’esclavagisme, puis de la ségrégation. Militant pour les droits civiques et pour l’égalité entre les sexes, elle déploie un œuvre d’une rare ampleur, tant esthétique que politique. Son travail se nourrit de l’histoire de l’art moderne européen (Pablo Picasso, Henri Matisse, etc.), d’influences populaires telles que le tanka (tissu peint de la culture bouddhiste tibétaine), la mascarade ou le quilt (cet ouvrage de couture collectif des esclaves puis de leurs descendantes, constitué d’un molleton recouvert de chutes de tissus à motifs), ainsi que des expressions de la scène new-yorkaise, du pop art au néodadaïsme de Jasper Johns.
Documenter l'époque
Née à Harlem le 8 octobre 1930, Faith Ringgold grandit dans le contexte de la ségrégation raciale et de la crise économique. Toutefois, dès son plus jeune âge, elle bénéficie de l’atmosphère stimulante issue de la Renaissance de Harlem, vaste mouvement afro-américain de renouveau culturel. Au City College de New York, où elle entre en 1948, elle étudie l’éducation artistique auprès du peintre Robert Gwathmey, puis les beaux-arts après que ceux-ci eurent été rendus accessibles aux femmes. Enseignante dans les écoles publiques, elle effectue en 1961 un premier voyage en Europe, au cours duquel elle visite de nombreux musées dont le Louvre. Elle délaisse les paysages néo-impressionnistes de ses débuts pour la représentation de personnes noires et blanches dans un style graphique et frontal, les formes traitées en aplats de couleurs intenses (série « Early Works »), à l’exemple de son puissant autoportrait peint en 1965 (New York, Brooklyn Museum). Car, pour incarner son engagement militant, Faith Ringgold choisit la figuration, à contre-courant de l’abstraction et du minimalisme qui dominent l’art des années 1960. Elle poursuit ces recherches dans un cycle important intitulé « American People » (1963-1967). Elle y dresse un portrait critique de la société étatsunienne : « J’étais fascinée par la capacité de l’art à documenter l’époque. Comment pouvais-je en tant qu’artiste africaine-américaine documenter ce qui se passait autour de moi ? » Cinq hommes d’affaires au teint blafard à force d’exploiter les autres (Watching andWaiting, 1963, New York, ACA Galleries), ou une jeune fille noire enfin autorisée à étudier (StudyNow!, 1964, New York, ACA Galleries) donnent un visage aux mille facettes d’un pays morcelé par les tensions que la promulgation du Civil Rights Act (1964) et du Civil Rights Act Of 1968, marquant officiellement la fin de la ségrégation aux États-Unis, ne suffit pas à apaiser. Ringgold exécute les trois dernières compositions de la série durant l’été 1967, alors que des émeutes éclatent et sont réprimées dans le sang. Parmi elles, Die! est directement inspiré de Guernica, tableau-manifeste signé par Pablo Picasso en 1937. Ringgold donne à une scène de guerre civile opposant Blancs et Noirs l’envergure d’une peinture d’histoire.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Camille VIÉVILLE : docteure en histoire de l'art contemporain, historienne de l'art, auteure
Classification
Média