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FAMILLE, Ba Jin Fiche de lecture

Face à l'arbitraire de la vieille génération

Gao Juexin est le fils aîné de la première branche du clan. Depuis la mort de son père, il est investi, parmi les siens, de lourdes responsabilités. Contraint par son grand-père d'abandonner ses études et de prolonger la descendance, il doit renoncer également à l'élue de son cœur, sa cousine Qian Meifen (« Arôme de prunier des frimas »), pour épouser une jeune fille, qu'on a tirée au sort pour lui, Li Ruijue (« Double Jade de bon présage »). Juexin, qui est un être faible, obtempère, sans pour autant s'illusionner sur le sort qui l'attend : comme ses deux frères cadets, il a subi l'influence de la « nouvelle culture » et il n'ignore rien des tares du système traditionnel. Tout en le sachant condamné, il ne songe pas à se rebeller, et se résigne à une existence lâche et honteuse, n'hésitant pas, pour acheter sa tranquillité, à payer le prix fort en sacrifiant ceux qui l'entourent, y compris ceux qui lui sont chers. C'est ainsi qu'il perd coup sur coup les deux êtres qu'il chérissait le plus : sa cousine, Meifen, emportée par une maladie des poumons provoquée par une mélancolie prolongée, et son épouse, Ruijue, qui, par la faute des superstitions encore vivaces, meurt en couches.

Aux antipodes de Juexin, Gao Juehui (« Éveil de l'intelligence »), le benjamin. Ce n'est encore qu'un enfant, mais un enfant qui a du cran. Un rien provocateur, ennemi des compromis, frondeur, réfractaire à une autorité qu'il conteste, il tient tête au grand-père, et il lui arrive à l'occasion de s'opposer à ses frères. Séduit par les doctrines politiques venues d'Occident, il fréquente un groupe de révolutionnaires et collabore à leur journal. Peu sensible aux barrières sociales, il s'est épris de Mingfeng (« Chant de phénix »), une jolie servante que Gao Dunzhai a promise à un barbon de ses amis ; Mingfeng, qui aime de son côté Juehui, préférera se suicider plutôt que d'appartenir à un autre que lui. Juehui s'enfuit alors à Shanghai vers un destin incertain.

Gao Juemin, à peine plus vieux que Juehui, se tient entre ses deux frères, par l'âge et par le tempérament. Il sait plier l'échine autant que son aîné, mais, dans un sursaut d'énergie, il se montre capable de ruer dans les brancards, à l'instar de son cadet, dont il partage les idéaux. Il est amoureux de sa cousine Qin (« Cithare »), une jeune fille tournée résolument vers la modernité. Hélas, Gao Dunzhai a formé d'autres projets pour son petit-fils. Juemin, passé un moment d'hésitation, finit par se révolter, et obtient gain de cause. Dans Printemps et Automne, après le départ de Juehui, il lui reviendra de reprendre le flambeau de la contestation dans la famille.

Famille n'est pas un roman autobiographique, même si Ba Jin s'est fondé pour l'écrire sur des événements véridiques et s'est inspiré de l'un de ses frères pour nourrir la figure de Juexin. L'écrivain a conféré aussi aux trois jeunes Gao certains de ses propres traits, en particulier à Juehui dont on le sent proche, bien qu'il n'ait pas cherché à en faire son double exact. De fait, la narration épouse souvent le regard de Juehui, érigé ipso facto en témoin privilégié.

Roman populaire entre tous, Famille a été porté à l'écran à deux reprises (1941 et 1956), et adapté à la scène par Cao Yu en 1942.

— Angel PINO

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Écrit par

  • : professeur émérite des Universités, université Bordeaux Montaigne

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