FAMILLE Évolution contemporaine
La famille et le champ de la sexualité
Dans l'institution familiale de type parental, la vie sexuelle devait trouver son équilibre à l'intérieur de normes sociales rigoureuses ; la société sacralisait même ses normes pour mieux défendre sa stabilité. La famille « nucléaire », libérée de l'enracinement parental, est beaucoup plus fragile ; désacralisés, les liens conjugaux sont plus personnels, mais perdent de leur force et de leur rigueur. Quand la famille élargie formait les mailles essentielles de la contexture sociale, règles et tabous la protégeaient contre la violence du sentiment ou l'émergence de la passion hors du cadre défini ; rencontres et échanges étaient strictement réglementés. Aujourd'hui, c'est en puisant ailleurs leur force que les liens sociaux, économiques et politiques enferment les individus dans un réseau serré de relations anonymes ou dans des associations de type électif.
Devant cette évolution, certains sont plus attentifs à l'absence de normes dans la vie sexuelle et la réfèrent à l'anonymat concomitant des relations complexes ; ils diront qu'à la rigueur de l'embrigadement anonyme répond une anarchie sexuelle, qui en est la compensation. Pour d'autres, en revanche, la multiplication des associations électives au travers même de ce réseau serré de communications qu'est le tissu urbain est moyen de personnalisation. Dès lors, l'anarchie sexuelle est l'envers et la conséquence de la liberté. Le partenaire sexuel n'est plus imposé par la famille ou par les convenances sociales. Les mêmes causes qui permettent le choix libre du conjoint rendent l'institution plus fragile.
Le déséquilibre et la crise tiennent essentiellement à la persistance d'images agraires de la famille dans un monde industriel qui les dévalorise. On dit qu'il n'y a plus de normes parce que les normes anciennes ne valent plus. Il s'agit moins d'ailleurs d'en édicter de nouvelles que d'indiquer les références actuelles d'une conduite sensée en matière de sexualité ; car il faut inventer. Trouver soi-même sa route et réussir son mariage dans un monde fluide où l'expérience humaine actuelle a plus d'importance que les traditions normatives.
Amour, relation conjugale et langage
L'immense éventail des structures de parenté que nous révèlent les recherches ethnologiques démontre que la sexualité ne vise pas d'emblée la rencontre interpersonnelle de l'homme et de la femme, mais le groupe et sa permanence. La prise de conscience de l'autre en tant qu'être humain trouvera sans doute un épanouissement dans l'amour réciproque de l'homme et de la femme, mais les relations interhumaines n'apparaissent pas d'emblée comme une sublimation de la sexualité. L'homme ne devient pas homme en prenant conscience de l'altérité radicale inscrite dans la sexualité, c'est au contraire la lente histoire des relations humaines et la complexité croissante des liens qui lui font prendre conscience du sens nouveau que peut prendre la sexualité. Ce n'est que tardivement, très près de nous, que la sexualité s'épanouira, largement et non plus de manière exceptionnelle, en rencontres interpersonnelles. Du même coup l'érotisme, au lieu d'être la poussée du désir exaspéré par les limites de la loi, pourra se faire langage d'amour.
Or, la famille est transformée quand l'érotisme peut devenir, sans réprobation sociale, langage ambigu de l'amour. Dans les civilisations primitives, la femme est saisie comme signe et objet d'échange avant de l'être comme productrice de signes et sujet désiré ; d'emblée pourtant, l'amour débordait les frontières de l'échange sexuel, dans le domaine économique comme dans l'échange d'expériences par le langage. Mais il a fallu[...]
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Écrit par
- Abel JEANNIÈRE : docteur en philosophie, professeur à l'institut d'études sociales de l'Institut catholique de Paris
- François de SINGLY : professeur des Universités, faculté des sciences sociales de la Sorbonne, directeur du Cerlis (C.N.R.S.-université de Paris-V)
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