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FAMILLE Le statut de l'enfant dans la famille contemporaine

L'enfant a-t-il pris dans la famille, comme dans le reste de la société, une place qui ne serait pas la sienne ? À en croire le titre d'un ouvrage récent – L'Enfant chef de famille (2003) – de Daniel Marcelli, pédopsychiatre reconnu, on pourrait le craindre puisqu'il serait devenu « roi ». Il est vrai que le père, en France, a perdu une part de son autorité depuis le mouvement de mai 1968 qui condamnait toutes les manifestations de pouvoir, et depuis la loi de juin 1970, qui supprima la puissance paternelle en faisant bénéficier la femme de « l'autorité parentale ». La thèse de l'enfant-roi dépasse ce constat en affirmant que l'enfant a profité des changements pour se glisser dans la place libérée et pour imposer ses quatre volontés aux adultes qui s'occupent de lui. On contestera ce raisonnement qui, né d'indicateurs eux-mêmes incontestables, parvient à une conclusion erronée. Il semble, en effet, que, dans la grande majorité des cas, le changement de statut de l'enfant n'a entraîné ni une domination des jeunes, ni une confusion des places dans la famille. Tout se passe comme si les schèmes de pensée étaient presque toujours en retard : pourquoi imaginer qu'un groupe familial a toujours un « roi », un seul ? La fin du père-roi n'entraîne pas obligatoirement l'arrivée des mères « supérieures » – c'est une autre interprétation des transformations domestiques – ou des tyrans enfantins. On partira donc d'une autre conception, celle d'une famille contemporaine plus démocratique où chacun, tout en conservant sa place, n'a pas le même statut. La femme et l'enfant – les deux personnages dominés dans les générations précédentes, les deux « mineurs » – ne sont plus considérés de la même manière. L'une et l'autre ont accédé à des droits. Ceux de « l'homme » de la déclaration universelle des droits ont été étendus à la femme et à l'enfant. Toutefois le fait que ce dernier (contrairement à la femme) fasse l'objet d'une déclaration spécifique est bien la preuve qu'il n'est pas confondu avec l'adulte.

Rupture historique : l'individu « roi »

La reconnaissance des droits de l'enfant (au moins dans la version qu'en donne la Convention adoptée par les Nations unies en 1989) ne peut être comprise que si elle est resituée dans un mouvement plus général, celui de la reconnaissance de l'enfant comme personne. Ainsi que le souligne Éléonore Lacroix (2001), l'enfant est devenu « discernable » : « Il faut en passer par cette construction abstraite pour que [chaque enfant puisse] être repérable et de ce fait respectable. » L'enfant n'a pas à attendre d'être éduqué pour exister. Il n'est plus une pâte à modeler qui, tant qu'il n'a pas pris la bonne forme, n'a pas le droit de conduire sa vie. Auparavant, il devait obéir jusqu'à l'âge de raison, jusqu'à ce qu'il se conduise de manière raisonnable : il n'avait pas à être écouté tant qu'il n'avait pas de discernement.

Les idées des pédagogies nouvelles s'imposent progressivement dans les années 1960. L'enfant est écouté, le droit lui reconnaît ce droit à la parole dans les affaires le concernant. Il s'exprime, même lorsqu'il ne peut pas parler. En effet, ses pleurs, ses colères deviennent significatifs. Ils ne sont plus a priori des caprices auxquels il est inutile de prêter attention. Ils peuvent dire quelque chose, et les parents doivent alors comprendre ce langage. Cette croyance en l'existence d'un message émis par l'enfant est une nouveauté historique. Elle prolonge l'invention du sentiment de l'enfance (Ph. Ariès, 1960). Le très jeune enfant n'est plus un « petit animal », il a déjà, contenue en lui, sa nature propre, son originalité.[...]

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Écrit par

  • : professeur des Universités, faculté des sciences sociales de la Sorbonne, directeur du Cerlis (C.N.R.S.-université de Paris-V)

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<it>L'Enfant gâté</it>, J.-B. Greuze - crédits :  Bridgeman Images

L'Enfant gâté, J.-B. Greuze

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