FAMILLE Le statut de l'enfant dans la famille contemporaine
La nature double de l'enfant
L'enfant est objectivement à sa naissance dépendant de ses parents. Il a besoin aussi de protection. C'est un « petit ». Cette caractéristique suffit-elle à définir l'enfant ? C'est sur ce point que réside la polémique actuelle sur le statut de l'enfant. Dès que les observateurs voient qu'un enfant est traité comme un « grand » (ou un « roi »), ils crient à la mystification (A. Finkielkraut, 1990 ; I. Théry, 1992). Mais lorsqu'une mère ou un père tient compte des besoins de son enfant, fait attention à lui et respecte certaines de ses demandes, deviennent-ils automatiquement « petits », ou esclaves de l'enfant devenu « chef » ? Il s'agit d'un procédé d'exagération rhétorique afin de disqualifier la reconnaissance de l'enfant comme une personne et donc possesseur de droits semblables à ceux des adultes. Cela ne signifie pas que l'enfant est « grand » comme une grande personne ; il est aussi « petit ».
La Convention des droits de l'enfant a changé entre 1924 et 1989, afin de ne pas limiter ces droits à des droits spécifiques, et de les élargir aussi à des droits semblables. Dans ce texte est donc reconnue, en quelque sorte, une nature double de l'enfant, à la fois fragile comme un petit et respectable comme tout être humain. En conséquence, il existe une tension permanente entre « protection » et « libération ». Il serait absurde que « l'approche juridique de l'enfance, du fait que les sociétés où elle s'est affirmée sont structurées par l'exigence de l'égalité, en vînt à identifier reconnaissance des droits et mise entre parenthèses de la façon dont l'enfant renvoie aussi à son altérité et à son irréductibilité ». Il serait tout aussi absurde au nom de la spécificité du « petit homme » de « récuser la thématique des droits de l'enfant » (A. Renaut, 2002).
Tirons quelques-unes des conséquences de cette double nature de l'enfant du point de vue de sa place dans la famille. Pour nous, une des manières de résoudre cette tension est de faire varier la taille de l'enfant. À certains moments, il est protégé et ses parents prennent les décisions à sa place, même si le jeune exprime un avis contraire. À d'autres moments, le jeune doit pouvoir participer aux décisions le concernant. Il prend donc une taille plus grande. Il peut être le héros de la famille. Il peut devenir, pour quelques heures, « roi ». Ce n'est plus le jour de la fête des Rois, au début de janvier. C'est le jour de l'anniversaire. Les parents se mettent à son service pour que cette fête soit la sienne, avec ses amis (R. Sirota, 1999).
Il peut y avoir aussi inversion, l'enfant étant « grand », dominant ses parents plus « petits ». C'est le cas des repas dans les fast-foods. Dans Libres ensemble (2000), avec Julie Janet-Chauffier, nous avons analysé ce « monde à l'envers » où les parents doivent accepter une certaine régression en mangeant, eux aussi, avec les mains, sans pouvoir contrôler, comme à la maison, la tenue à table. Certains parents ne comprennent pas que, en achetant des hamburgers pour les manger à la cuisine, le plaisir soit absent. Ils font comme si ce dernier était dérivé de la nourriture, alors qu'il est engendré par la suspension provisoire de l'éducation. Dans Le Soi, le couple et la famille (1996), on a commenté l'image du « père-cheval », l'enfant étant sur son père. Ce n'est pas le symbole de la prise de pouvoir complète des enfants sur leurs parents, et donc de « l'enfant chef de famille ». Cette mise en scène souligne que les personnes traditionnellement dotées du pouvoir renoncent à certains moments à leur taille pour interpréter d'autres dimensions de leur rôle paternel (ou maternel).[...]
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Écrit par
- François de SINGLY : professeur des Universités, faculté des sciences sociales de la Sorbonne, directeur du Cerlis (C.N.R.S.-université de Paris-V)
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