FAMILLE Le statut de l'enfant dans la famille contemporaine
Le déclin de l'obéissance
L'accent mis sur l'autonomie a pour contrepartie logique la dévalorisation de l'obéissance. L'enfant apprend à construire un monde et à vivre dedans. Le père et la mère ne peuvent donc pas limiter leur travail à l'exigence de l'obéissance, qualité qui pouvait résumer antérieurement le rapport de l'enfant à ses parents. Progressivement, en Occident, la place de l'obéissance diminue dans la hiérarchie des qualités demandées pour les enfants (D. F. Alwin, 1988). Dans un récent sondage, à la question sur les « principales valeurs, positives ou négatives, que vous ont transmises vos parents », les réponses mettent en première place le respect des autres, avec le score de 54 p. 100, loin devant le respect de l'autorité, avec 14 p. 100 (sondage national, Sélection du Reader's Digest, octobre 2003). Autrefois, un enfant devait obéir à ses parents parce qu'il devait obéir plus tard aux autorités civiles et professionnelles – et à Dieu. Comme le comportement de l'individu n'est plus défini en priorité par l'obéissance dans sa vie professionnelle, il n'est plus nécessaire de maintenir l'obéissance à la même place dans l'éducation.
La baisse de l'obéissance enfantine traduit, certes, une baisse de l'autorité parentale. Cela ne signifie pas une démission du père ou de la mère. Ces derniers ont un rôle d'accompagnateur, d'interprète qui exige nettement moins des manifestations d'autorité. Sur ce point encore, d'un constat juste – la diminution de l'autorité parentale mise en œuvre –, est inutilement tiré un signal d'alarme : les enfants manqueraient d'autorité et donc de repères. Ces frayeurs ne sont pas fondées.
Une de nos recherches sur l'éducation révèle qu'aucune famille ne fonctionne selon un principe explicite de refus de l'autorité. Il existe toujours quelques interdits, quelques règles, quelques points sur lesquels les parents ne veulent pas négocier. L'enfant apprend que certaines choses sont négociables et que d'autres ne le sont pas, importantes ou non, qui signalent le pouvoir indiscutable du parent, par exemple l'interdit de boire des boissons sucrées à table, ou de s'asseoir à la place du père dans le canapé si le père est là, ou de quitter la table tant que le repas n'est pas fini. Presque tous les parents imposent certaines règles et négocient le reste. Les jeunes apprennent ainsi l'alternance. Ce sera comme dans leur vie future : au travail ou ailleurs, on doit à la fois obéir et négocier ; accepter de se soumettre à certaines règles et faire preuve d'initiatives. Dans une société de risque, de grande incertitude, la maîtrise de l'avenir demande des individus capables de passer outre aux contraintes de la réglementation si la situation l'exige. La souplesse identitaire, apprise dans cette alternance des temps et dans la variation de taille, prépare aussi la souplesse de réaction devant les imprévus de la vie, privée ou publique.
Le fait que l'enfant ait moins à obéir à des règles émises par ses parents n'est pas nécessairement une marque de déclin éducatif. Les jeunes ont affaire à d'autres formes d'autorité, moins personnelle, véhiculée par les machines et les équipements. Et la vie commune repose de plus en plus sur des principes discutés. Les pédagogies nouvelles ont prôné plus de liberté et d'autonomie pour les enfants, elles n'ont jamais proposé l'absence de règlement. Alexander Neill répondait à ses détracteurs : « La liberté, pas l'anarchie » (1975). Le changement de statut des parents et des enfants ne modifie ni les places ni les spécificités des enfants et des adultes ; elle complique incontestablement la relation pédagogique, puisqu'elle a détruit une certaine cohérence du fait de la nature double de[...]
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Écrit par
- François de SINGLY : professeur des Universités, faculté des sciences sociales de la Sorbonne, directeur du Cerlis (C.N.R.S.-université de Paris-V)
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