FAMILLE Les enjeux de la parentalité
Reproduction et filiation
Alors que la reproduction est un fait biologique, la filiation apparaît comme un acte juridique et par conséquent un fait culturel. Le droit pondère toujours liens biologiques et volonté individuelle, mais selon la conception philosophique adoptée – privilégiant la nature ou la convention – le statut de la famille n'aura pas les mêmes contours.
Culture contre nature
La filiation peut certes tenir compte du fait naturel, mais, en tant que dispositif d'agencement parental, elle répond à des règles propres, affranchies de la nature. En Occident, la coutume des barbares (ordalies) et le droit canonique (copula carnalis, coït charnel) ont eu en commun la vérité du corps comme fondement du lien juridique, contrairement à la civilité romaine pour laquelle la volonté constituait la clé de voûte du système juridique. Le droit moderne des personnes physiques qui s'esquisse à partir du xviiie siècle va opérer un retour aux règles du droit civil romain, en accordant à l'autonomie de la volonté une place centrale dans l'établissement des liens de filiation et une place éminente à la fiction juridique (fictio legis), créatrice de droits. Ce qui compte ce ne sont plus tant les racines naturelles ou surnaturelles d'institutions intangibles que l'efficacité et la plasticité d'instruments juridiques procurant tel ou tel résultat (par exemple la paix des familles ou la solidarité des générations).
La filiation confère à chaque personne un état civil déterminé auquel s'attachent d'importants effets juridiques tant patrimoniaux (obligation alimentaire, droit de succession) qu'extrapatrimoniaux (attribution du ou des noms, autorité parentale). Elle n'existe que lorsqu'elle est établie dans les conditions et selon les modes prévus par la loi. Autrement dit, la filiation est déterminée par la norme juridique et non par la nature. Ce lien juridique se tisse à partir de quatre fils principaux : la biologie (filiation par le sang), la volonté (adoption), la présomption (paternité supposée du mari de la mère) et le vécu (appelé en droit « possession d'état »).
Avancées biotechnologiques
Les techniques de procréation artificielle permettent la dissociation entre sexualité et reproduction. Les progrès scientifiques en ce domaine – congélation de sperme, d'ovules ou d'embryons, insémination artificielle, fécondation in vitro, identificationgénétique des parents... – ont provoqué, pour reprendre l'expression de Ruwen Ogien, une « panique morale », amplifiée par les médias et exploitée par les courants conservateurs. Afin de rassurer l'opinion publique, la classe politique, au lieu d'assumer les principes modernes du droit civil de la famille et d'actualiser les règles de la conjugalité et de la parenté, s'est retranchée derrière l'avis d'experts (généticiens, psychanalystes, anthropologues, théologiens...) pour redéfinir le permis et l'interdit en matière de filiation. La biologie commença à devenir ainsi le soubassement réel ou symbolique du système de parenté, à rebours d'une science juridique qui avait plutôt instauré la volonté au cœur de ce système. En France, l'accès aux techniques d'A.M.P. est par conséquent resté réservé aux couples hétérosexuels infertiles. Quant à la gestation pour autrui (mères porteuses), elle est prohibée pour tous les couples. À l'étranger, plusieurs pays européens autorisent l'A.M.P. aux célibataires et aux couples de même sexe (Belgique, Espagne, Luxembourg, Suède, Finlande, Royaume-Uni, Islande, Danemark, Pays-Bas, Roumanie, Russie, Géorgie), ainsi que la plupart des États des États-Unis, le Canada, l'Inde et l'Afrique du Sud. Les conventions de gestation pour autrui sont aussi légales dans des pays comme le Royaume-Uni, la Russie, les[...]
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Écrit par
- Daniel BORRILLO : professeur de droit privé à l'université de Paris-Ouest-Nanterre-La Défense, chercheur associé au C.N.R.S., Centre d'études et de recherches de sciences administratives et politiques, université de Paris-II-Panthéon-Assas
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