FAMILLE Les enjeux de la parentalité
Pour un ordre nouveau des familles
Nous avons vu que la démocratisation de la vie privée a nécessité une reformulation des liens familiaux qui permet d'échapper à l'emprise de l'ancien ordre patriarcal, prétendu naturel. Ce fut le long travail du droit civil depuis sa sécularisation. La contestation actuelle de l'ordre familial « naturel » n'est en définitive que la radicalisation de l'idéologie individualiste moderne, selon laquelle la volonté et non la différence des sexes constitue la base de l'institution matrimoniale et parentale. Une filiation dissociée de la reproduction permettra de justifier un système juridique fondé non pas sur la vérité biologique, mais sur le projet parental responsable. De ce point de vue, peu importe l'agencement familial (traditionnel, monoparental, homoparental, recomposé...), si les prémisses du contrat (égalité dans l'alliance et dans la filiation) sont respectées jusque dans leurs moindres effets. L'État devrait donc traiter sur un plan d'égalité l'ensemble des familles et les autres formes d'intimité. Mais pour cela il faut faire son deuil d'un droit de la famille unique fondé sur ce que Michel Tort appelle le « dogme paternel », et repenser les règles qui gouvernent les familles à partir de la négociation et de la contractualisation. La coexistence du mariage, du Pacs et du concubinage pour tous les couples répondrait à cette exigence tout comme l'ouverture du droit à l'adoption, à l'A.M.P. et aux maternités de substitution au-delà des cas de stérilité. Fondée sur la volonté, l'adoption est une institution plus apte que la vérité biologique à assurer la stabilité des liens familiaux. Contrairement à la filiation charnelle, la filiation choisie trouve son principe dans la liberté non seulement d'accueillir les enfants des autres, mais également d'abandonner ses propres enfants biologiques, ce qui est pour l'heure uniquement possible pour les femmes (accouchement sous X), mais devrait pouvoir s'élargir aussi aux hommes à travers une déclaration formelle de renoncement à la paternité. La généralisation de la filiation adoptive (y compris pour ses propres enfants biologiques) permettrait aussi de mettre la volonté au cœur du dispositif parental. Celui-ci reposerait exclusivement sur la volonté du ou des géniteurs qui donnent l'enfant et celle du ou des adoptants qui l'accueillent. De surcroît, l'adoption est une institution conçue à partir du droit de l'enfant à avoir une famille, contrairement à la filiation biologique qui apparaît plutôt comme un dispositif du droit à l'enfant.
Ainsi la pure contractualisation des liens familiaux permettrait de laisser dans les mains des principaux intéressés la limitation et le contenu de cette communauté des affects, de volontés désirantes qui est l'essence de la famille. Assumer une théorie contractualiste des affects – aussi bien horizontalement au niveau du mariage que verticalement, par extension de la faculté d'adoption, au niveau de la filiation – n'implique nullement de se désintéresser des vulnérables (mineurs, personnes âgées, domestiques, animaux). Bien au contraire, les techniques particulièrement rodées du droit des contrats quant à l'équilibre des prestations et la protection des plus faibles (contrats d'adhésion, contrat de consommation, clause léonine, théorie de la lésion...) permettent selon nous de garantir plus efficacement les grands principes internationaux et constitutionnels de liberté et d'égalité à l'ensemble des membres de cette communauté affective et patrimoniale qu'est la famille. Si l'adoption, et non la capacité reproductrice, était retenue comme modèle universel de la filiation, cela permettrait de fonder la parenté sur la responsabilité et sur un projet parental réfléchi, et d'éviter ainsi toutes les figures malheureuses[...]
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Écrit par
- Daniel BORRILLO : professeur de droit privé à l'université de Paris-Ouest-Nanterre-La Défense, chercheur associé au C.N.R.S., Centre d'études et de recherches de sciences administratives et politiques, université de Paris-II-Panthéon-Assas
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