FAMILLE Sociologie
L'enjeu social et politique des définitions de la famille
Ce n'est pas un hasard si Durkheim s'est tant intéressé à la famille. Car les réformes du droit de la famille cristallisaient à la fin du xixe siècle et au début du xxe siècle des oppositions parmi les plus profondes dans les univers politique, idéologique et économique de son temps. Il n'est guère d'époques, en dehors de la Révolution française et de celle de la révolution juridique des années 1960-1970, où la législation familiale ait été aussi bouleversée, qu'il s'agisse du rétablissement du divorce (1884), de l'introduction de la déchéance de la puissance paternelle (1889), de l'amélioration du sort juridique des enfants naturels (1896) ou encore de la reconnaissance de l'autonomie financière des femmes mariées (1907). Comme tous les « défenseurs » de la famille, le rapport que Durkheim entretient avec cette institution est inséparable de celui qui le lie à la formation d'un État républicain auquel il adhère totalement.
En effet, la « défense de la famille » a mis aux prises les deux institutions qui, en France, ont fait de la famille un enjeu politique : l'Église catholique et l'État républicain. De la préhistoire de ce qui est devenu en France la « politique familiale », on doit retenir que le familialisme d'Église est apparu en tant que mouvement social dès la fin du xixe siècle sous la forme d'un ensemble diversifié de mouvements philanthropiques se rattachant aux différentes formes de catholicisme social. Il visait explicitement, en favorisant les « familles nombreuses », à restaurer un ordre moral fondé sur le respect du droit de propriété et des hiérarchies « naturelles », le rétablissement de la liberté de tester et des valeurs chrétiennes. La « défense de la famille », en cette période où les institutions républicaines tentaient de se consolider et où le mouvement ouvrier s'organisait tant bien que mal, a été un des principes d'unification d'actions dispersées mais qui étaient objectivement convergentes : maintien de l'ordre politique par la morale, dont la famille est à la fois l'emblème et le moyen. C'est bien le mode familial de reproduction de la structure sociale et l'ordre politique qui lui correspond qui étaient en cause et qui servaient de cause à défendre.
C'est pourquoi le discours sur le « libre choix des familles contre les empiétements de l'État », en l'occurrence l'école laïque, a fixé toutes les oppositions conservatrices, car l'école est l'instance la plus puissante et la plus visible qui tend à concurrencer la famille comme instrument de redistribution, à chaque nouvelle génération, des richesses et des positions dans la structure sociale et, corrélativement, comme lieu de socialisation. Le rapport à la famille, en ce sens, concentrait toute une série d'attitudes cohérentes à partir desquelles les agents sociaux engendraient des pratiques qui étaient objectivement et subjectivement systématiques : rapports au système scolaire, certes, mais aussi à la sexualité, à la contraception, à l'avortement, au statut de la femme, au patrimoine, ou encore, dans des domaines que structure la famille, le type d'autorité et la manière de l'exercer, ainsi que, et plus généralement, le rapport à la sécurité.
Cependant, les catégories sociales les plus conservatrices n'ont pas été les seules à « défendre la famille », c'est-à-dire l'ordre social qui leur permettait de maintenir leur position dans l'espace social. Au même moment, la « défense de la famille » a mobilisé d'autres fractions des classes dominantes antagonistes des premières, notamment au regard du rôle et de l'importance de l'État dans la gestion des affaires civiles. Les animateurs de cette mouvance qu'on appelle[...]
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Écrit par
- Rémi LENOIR : professeur à l'université de Paris-I, directeur du Centre de sociologie européenne
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