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FAMILLE Sociologie

L'idiome de la famille

Si les discours et les études sur la famille d'aujourd'hui semblent si répétitifs et monotones, c'est que la famille est autant une structure mentale qu'une structure sociale, un « principe de vision et de division du monde, un nomos que nous avons tous à l'esprit parce qu'il nous a été inculqué à travers un travail de socialisation opéré dans un univers qui était lui-même réellement organisé en famille » (Bourdieu, 1993). De sorte que les sciences de la famille (sociologie, démographie, psychologie) enregistrent peut-être moins les évolutions de la famille que celles des discours que les spécialistes tiennent sur elle, discours quasi automatiques dont les positions sont comme déjà fixées dès la formation d'une problématique très largement partagée. Si l'on présente la théorie de la famille de Talcott Parsons, c'est qu'elle constitue cette sorte de matrice intellectuelle à partir de laquelle les multiples travaux français et étrangers de toutes disciplines conçoivent et perçoivent la famille et les « problèmes » qui lui sont liés encore aujourd'hui.

En effet, comme celles de Durkheim, les analyses de Parsons sont autant un instrument de connaissance de la famille – en l'occurrence la famille américaine au milieu du xixe siècle – que la représentation dominante moins de ce qu'est la famille que de ce qu'elle doit être dans une société démocratique et libérale. À l'instar de Durkheim, la famille se voit réduite à sa structure conjugale et à une fonction de socialisation, les autres fonctions étant dévolues au fur et à mesure du processus de différenciation sociale à d'autres institutions, qu'il s'agisse des fonctions productives (entreprises), éducatives (écoles, médias), sociales (État-providence).

Cette réduction fonctionnelle de la famille conduit, selon Parsons, au desserrement des liens avec les ascendants et les collatéraux. Le groupe domestique, ramené aux conjoints et à un petit nombre d'enfants, repose sur le mariage alliant des époux qui se sont choisis librement, la vie affective contribuant à l'équilibre psychologique des adultes. Outre celle de favoriser la stabilité psychique des parents, la fonction de la famille est surtout d'assurer la socialisation de l'enfant, à savoir lui inculquer l'ensemble des dispositions que suppose le fonctionnement du système social. Les caractéristiques de ce modèle familial trouvent ses fondements dans les conditions de fonctionnement de la société moderne telles que se les représentaient les élites économiques et politiques de l'époque : la mobilité géographique et sociale, la qualification de la main-d'œuvre, conditions et facteurs du développement économique, passent de plus en plus par l'autonomie de la famille et de ses membres en son sein.

Le succès de cette théorie pourrait bien tenir au fait qu'elle correspondait de manière à peine euphémisée à la morale familiale que professaient alors les entrepreneurs de morale, notamment de celles des classes moyennes et supérieures aux États-Unis à partir des années 1940 et, en France, une dizaine d'années plus tard. Y sont, en effet, définis les termes, aussi bien politiques que savants, des débats actuels sur la famille : le mariage et son évolution, les enfants et leur éducation, les parents âgés et leur gestion. Dans cet espace de problèmes ainsi balisé s'opposent les divers protagonistes de la représentation familialiste de la famille : les conservateurs qui cherchent à légitimer l'ordre familial en transformant ce qui allait jusque-là sans dire en orthodoxie (se marier, avoir et élever des enfants, ne pas divorcer, entretenir ses vieux parents) et les dissidents qui énoncent les manières « modernes » de vivre sa famille compte tenu de l'évolution des « mœurs » (« cohabitation prénuptiale[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-I, directeur du Centre de sociologie européenne

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Médias

Alexis de Tocqueville (1805-1859) - crédits : A. Dagli Orti/ De Agostini/ Getty Images

Alexis de Tocqueville (1805-1859)

Auguste Comte - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

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