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FAMILLE Sociologie

Déclin de la « famille patrimoniale », montée de la famille éducative

Toutes ces mesures ont pour point commun de prendre acte des transformations des rapports familiaux qui ne sont pas sans relation avec l'évolution des fondements économiques et sociaux des structures familiales depuis plus d'un siècle. En effet, si l'assise patrimoniale de la famille reste prédominante dans les fractions économiques des classes moyennes (commerçants, agriculteurs) et supérieures (chefs d'entreprise, professions libérales, gros commerçants, propriétaires terriens) – catégories où les évolutions des mœurs familiales sont apparemment parmi les moins marquées –, en revanche, dans les fractions intellectuelles des classes moyennes (personnel médical, travailleurs sociaux, instituteurs, cadres moyens d'administration) et des classes supérieures (enseignants, cadres supérieurs), sa relative dépatrimonialisation s'est accompagnée d'importants investissements éducatifs et culturels, investissements qui supposent des formes plus différenciées et individualisées de socialisation que la transmission de biens économiques. À cette forme intensive de socialisation correspond le développement des consommations culturelles ou à portée culturelle qui trouvent dans ce qu'on appelle l'économie de consommation les conditions d'un développement sans précédent. Est-ce un hasard si ce sont dans ces catégories que s'affirment les nouvelles formes de vie familiale ? Quant aux classes populaires, le mariage qui s'inscrivait dans les formes de vie communautaire, ces formes d'encadrement se transformant, a désormais moins de nécessité et de solidité, comme l'atteste l'importance du taux des familles monoparentales dans les fractions les plus prolétarisées.

On doit rappeler à ce propos que les échanges familiaux diffèrent considérablement selon les catégories sociales. Ainsi, l'entraide financière entre générations dans les familles ouvrières est relativement plus basse par rapport aux prestations sociales, qui représentent 17 p. 100 des revenus, contre 5,5 p. 100 dans celles des catégories supérieures. De sorte que l'aide venant de la famille augmente les ressources sociales de 16 p. 100 chez les premières, contre 38 p. 100 chez les secondes. Cette tendance est encore accrue si l'on prend en compte le patrimoine à transmettre. En 1992, en patrimoine brut, les 25 p. 100 des ménages les plus pauvres ne se partagent qu'à peine 1 p. 100 du patrimoine total alors que le quart des ménages les plus fortunés en détient près des trois quarts.

On comprend dans ces conditions qu'on ne puisse plus parler de la « famille » qu'à titre de modèle normatif. Plutôt que de caractériser les familles par leurs structures internes (« monoparentales », « recomposées »), peut-être conviendrait-il de les distinguer selon les structures sociales qui sont au principe de leurs formes, d'ailleurs variables tout au long du cycle de vie. Elles ne sont, en effet, compréhensibles qu'en les resituant dans l'ensemble des facteurs qui les déterminent. Et parmi ces facteurs, on ne saurait omettre les structures économiques et sociales, mais aussi politiques et institutionnelles dont les familles sont le produit et qu'elles contribuent à reproduire.

Ainsi l'intervention de l'État-providence dans la définition des conditions de vie matérielle (redistributions économiques, aides au logement, assurances obligatoires) et intellectuelle (système scolaire) a eu pour effet de « refamilialiser » la société (Foucault, 1991). La famille a été et continue d'être façonnée par les dispositifs de ce type d'État. Reste que ceux-ci n'ont d'efficacité que si certaines conditions sont remplies, en général celles-là même qu'il s'agit de promouvoir. Par exemple, un travail stable et une famille structurée[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-I, directeur du Centre de sociologie européenne

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Alexis de Tocqueville (1805-1859) - crédits : A. Dagli Orti/ De Agostini/ Getty Images

Alexis de Tocqueville (1805-1859)

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