FANATISME
La vogue que connurent au xviiie siècle les termes de « fanatisme » et de « fanatique » n'a pas laissé d'imprégner les esprits d'une réprobation qui, jusqu'à nos jours, s'est attachée à la défense intransigeante et outrancière d'une communauté, d'un parti, d'une idée, d'une opinion. En dépit de son acception péjorative, la notion même de fanatisme est restée fidèle à son sens initial, dépourvu de malveillance. Que désigne en effet le mot « fanatique », dérivé de fanum (temple) ? Un devin inspiré, chargé d'interpréter les augures. Plus particulièrement, un prêtre du culte de Bellone, qu'un délire sacré pousse à se mutiler et à verser son sang. Que Bellone, plus tard confondue avec Cybèle, soit la déesse du sol, de la patrie, de la guerre laisse entendre assez clairement comment le furieux qui pratique l'automutilation se mue en forcené qui mutile les autres. Ce fut pendant longtemps et pour bien des sociétés une vertu. L'évolution des mœurs, plus de douceur et moins de gloire militaire ou militante, ont fait du fanatisme un vice, qui ne dédaigne pas, à l'occasion, de se dissimuler sous les signifiés plus avenants de fidélité à une cause, d'esprit d'entreprise, de forte personnalité ou de martyre d'un juste combat.
Le souvenir du devin inspiré ne s'est pas perdu dans l'usage moderne du concept. Le fanatique s'exprime dans le transport d'une fureur divine. La voix démesurée d'un dieu a fait choix de sa faiblesse et de son humilité pour qu'y retentisse une vérité souveraine. Il s'abaisse et se vide de sa substance humaine afin qu'une transcendance le possède et l'emplisse de sa présence invisible. Pourquoi, se réduisant à rien pour recevoir le tout, ne verrait-il pas d'un œil froid l'anéantissement de ceux qui ne partagent pas son sentiment ? Le fait que s'incarne en lui le mandement du ciel, de l'État, de la patrie, de la cause du peuple l'a élu parmi les serviteurs de l'absolu. Légataire d'une vérité universelle, il n'a de comptes à rendre à personne ni à lui-même ; et, comme une vérité d'un ordre aussi élevé exige un renoncement aux plaisirs d'être humain, elle ne peut qu'en appeler, pour assurer le triomphe de l'esprit, aux rigueurs les plus inhumaines. Peut-être n'y a-t-il rien de plus redoutable que cette pensée qui s'arrache du corps pour le dominer, que cet esprit se séparant de la terre pour la mieux gouverner au nom du ciel.
Du fanatisme des autres à l'« Encyclopédie »
Comme l'aruspice, le fanatique connaît l'avenir. Il prédit le fatum, le destin inexorable, le fatidique. Le destin n'est rien d'autre que la réalisation de la vérité qui s'échappe de sa bouche, comme les révélations d'une pythie. Mais de lui, à la différence de la pythie, la vérité exige que ses mots soient des actes, qu'il brandisse le glaive du verbe, par lequel, en se sacrifiant, il a mérité de sacrifier le monde entier. Ainsi, la grandeur mythique – l'énormité du mensonge, en d'autres termes – se bâtit sur la petitesse du fanatique. De là, le soupçon qu'il n'y ait pas d'empire, de royaume, de république, d'État qui n'érige sa munificente imposture sur un socle de boue et de sang, de guerre, de répression et de révolution « dévorant ses enfants ».
Il s'est conservé, dans l'absolue sujétion à une idée, quelque manière de cette castration dont la pratique est imputée aux sectateurs de Cybèle. Détourner le corps de ses inclinations naturelles pour le soumettre à un régime d'ascétisme et de discipline qui le rendît plus réceptif à la volonté divine ou aux directives du parti, n'est-ce pas lâcher la proie pour l'ombre, refuser la réalité[...]
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Écrit par
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