FANNY ET ALEXANDRE (mise en scène J. Deliquet)
Entre le théâtre et la vie
C’est sous cette forme, également nourrie par le roman original (publié en français en 1983), que se présente la version scénique de Fanny et Alexandre, réalisée par la jeune metteuse en scène Julie Deliquet, à l’origine du collectif In Vitro créé en 2009. Elle est accompagnée à cette occasion de Florence Seyvos, écrivaine et scénariste, et de Julie André. Après Vania, issu d’un Tchekhov revigoré et créé avec succès au théâtre du Vieux-Colombier en 2016, Julie Deliquet a retrouvé la troupe de la Comédie-Française en février 2019. Dans la scénographie réalisée en collaboration avec Éric Ruf, sa représentation ne pouvait trouver meilleure localisation symbolique que dans la cage de scène largement ouverte de la salle Richelieu, habitée de quelques meubles, éléments de décors et accessoires de spectacles créés précédemment, avant de se réduire et de se modifier judicieusement après l’entracte, dans la partie finale, pour exprimer un autre registre, davantage en tension, où au vertige de l’illusion propre au théâtre se substitue la folie de pureté de Vergerus. Car, pour Julie Deliquet, « le théâtre est bien plus fort chez les Vergerus que chez les Ekdahl, ne serait-ce que parce que leur espace est contraint. » Dans les cheminements de la dramaturgie s’expriment des allers-retours constants entre la réalité des situations et la fiction liée au théâtre, la vie des comédiens et celle de leurs personnages, parfois avec des accents émouvants, sans qu’il soit possible de dissocier réellement le vrai du faux, stimulant ainsi l’imaginaire du spectateur dans sa relation avec la représentation. Comme le dit Oscar en ouverture de la pièce : « dehors, il y a le monde, et il arrive que notre petit monde du théâtre parvienne à refléter ce monde, permette de mieux le comprendre et parfois, aussi, d’en oublier la dureté. » Objectif atteint. Ensemble, les dix-huit comédiens du Français, animés d’un bel esprit collectif qui semble en totale osmose avec celui de la famille Ekdahl, portent avec acuité dans leurs interprétations et leurs gestuelles les interrogations, troubles et aspirations des différents personnages, sous la conduite de Julie Deliquet. Mentionnons en particulier Denis Podalydès (immense Oscar), Dominique Blanc (superbe Helena), Thierry Hancisse (saisissant Edvard), Elsa Lepoivre (émouvante Emilie), Hervé Pierre (Gustav Adolf), Laurent Stocker (Carl), Rebecca Marder (Fanny) et Jean Chevalier (Alexandre), jeunes nouveaux pensionnaires du Français – mais tous mériteraient ici d’être salués chaleureusement. Ils contribuent largement à la réussite de cette grande fête du théâtre, qui marque l’entrée d’Ingmar Bergman au répertoire de la Comédie-Française. Il rejoint ainsi un autre cinéaste et homme de scène, Luchino Visconti, dont Les Damnés fut porté à la scène par Ivo van Hove.
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Écrit par
- Jean CHOLLET : journaliste et critique dramatique
Classification
Média