Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

FANTASIA, film de Walt Disney

Entre l'expérimentation et la vulgarisation

Entreprise surprenante, où plusieurs réalisateurs travaillèrent sous la houlette du producteur, Fantasia déroule une succession très inégale de courts-métrages d'animation, sans lien précis entre eux, qui parfois synthétisent les recherches visuelles des cinéastes expérimentaux, parfois adaptent la musique classique au style graphique Disney. Ils apparaissent comme la suite des « dessins animés musicaux », que Disney a produits en foule vers le début des années 1930 sous le nom de « Silly Symphonies ». Le choix des musiques privilégie les œuvres à programme (ballet, symphonie narrative, poème symphonique, ouverture), même si la version animée ne respecte qu'une fois à la lettre l'argument narratif qui a inspiré la partition : c'est L'Apprenti sorcier, où Mickey joue le rôle du héros de la ballade de J. W. von Goethe intitulée Zauberlehrling (1797) dont P. Dukas a tiré son célèbre poème symphonique. Pour Casse-Noisette et le Sacre du printemps, musiques de ballet écrites sur un argument, et pour la Symphonie pastorale, explicitement située par Beethoven dans une campagne germanique, le film choisit au contraire d'inventer un nouveau « programme » en ignorant délibérément celui d'origine.

Fantasia commence et finit dans une atmosphère sérieuse et « noble », mais intègre au milieu des séquences humoristiques et parodiques. Certains thèmes sont développés deux fois, dans une tonalité tantôt rassurante, tantôt terrifiante. Le thème de la magie apparaît ainsi, édulcoré, avec un gentil Apprenti sorcier, mais il revient sans humour dans Une nuit sur le mont Chauve, pleine de squelettes, d'esprits et de créatures démoniaques. Le thème de la nature est abordé de manière brutale, aux accents d'une version abrégée du Sacre du printemps (un véritable cauchemar cosmique où les dinosaures se déchirent en exhibant leurs crocs, puis se traînent lamentablement sous un soleil de plomb asséchant toute vie) ; puis, après cette vision déprimante de la nature rappelant que les États-Unis sont un grand pays sauvage qui connaît des climats violents, la Symphonie pastorale en donne une peinture miniaturiste et mignonne : ce sont alors des licornes, des Pégases volant en famille (Maman Pégase, les petits Pégasons), des centaures flirtant avec des centauresses en soutien-gorge de fleurs, pendant que volètent des Cupidons asexués. À ces images d'un mauvais goût provocant, évoquant les spectacles de Las Vegas, on préférera la Toccata et Fugue, qui est à la limite du dessin animé abstrait tel que l'avaient créé Len Lye et Oskar Fischinger, mais qui s'appuie cependant sur des associations figuratives avec la mer, la montagne, le ciel. Plusieurs fois dans le film, l'animation, cependant très élaborée pour l'époque dans ses effets de matière, de texture et de mouvements, donne l'impression de tourner en rond, notamment lorsqu'elle fait évoluer en apesanteur des formes diverses en milieu aérien ou aquatique : feuilles, étincelles, corps célestes, nuages, fées, animaux volants, etc. On s'aperçoit alors que la conception du film est largement dérivée du ballet classique (cité dans Casse-Noisette et dans la Danse des heures), et que le jeu des formes échappant à la pesanteur, l'idée d'un ballet dans les trois dimensions souligne plus le caractère fermé et restreint du cadre cinématographique qu'il ne nous le fait oublier.

L'utilisation du thème de la musique instrumentale comme support pour un long-métrage sera reprise sur le mode burlesque dans L'Allegro non troppo (1977), film d'animation de Bruno Bozzetto, et dans un registre grinçant et humoristique par le vidéaste Zbigniew Rybczynski dans L'Orchestre (1990).

— Michel CHION

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : écrivain, compositeur, réalisateur, maître de conférences émérite à l'université de Paris-III

Classification

Autres références

  • PARLANT (CINÉMA) - (repères chronologiques)

    • Écrit par
    • 3 201 mots

    1899 États-Unis. The Astor Tramp, « picture song » de Thomas Edison. Bande filmée destinée à être accompagnée d'une chanson chantée en salle (derrière l'écran) par des artistes invités.

    1900 France. Présentation par Clément Maurice du Phono-Cinéma-Théâtre à l’'Exposition universelle....