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FAUST (J. W. von Goethe) Fiche de lecture

La modernité et le démoniaque : le « drame d'Hélène »

Goethe allait entamer le manuscrit de Faust II (Faust. Deuxième partie de la tragédie) en 1824-1825, sans suivre l'ordre d'une action linéaire, et mettre la dernière main à son manuscrit, qu'il ne souhaitait pas publier de son vivant, peu de temps avant sa mort, en 1831.

Cette deuxième partie de Faust privilégie la réflexion sur quelques grandes polarités : l'opposition entre les temps modernes et l'Antiquité grecque, le masculin et le féminin, la culture véritable et l'idée de progrès, la tradition de la sagesse politique et le nouveau despotisme de la rationalité. Manifestant une indifférence croissante envers les règles de l'art dramatique – tout comme, dans Les Années de voyage de Wilhelm Meister, il s'était affranchi de toute convention narrative –, Goethe renonce à suivre le destin de ses personnages pour retracer l'histoire de la culture européenne, de la Renaissance au xixe siècle.

Il n'y a plus, comme dans Faust I, de conflit entre un individu et les valeurs d'une société. Le « deuxième Faust » incarne cette fois les contradictions du monde contemporain. Ici les aspirations et les errements de Faust illustrent les potentialités du monde moderne, mais aussi les dangers de l'appétit de savoir et de pouvoir, le dépassement des valeurs traditionnelles et l'immoralité du nouvel esprit capitaliste. Pour bien marquer la solution de continuité entre les deux œuvres, Goethe place en tête de son Faust II une scène (« Paysage agréable ») où le protagoniste se réveille après un long sommeil. Il a oublié Gretchen et il a vieilli (il mourra centenaire à la fin du cinquième acte). Méphistophélès, son complice diabolique, incarne à présent la perversité à l'œuvre dans la modernisation du monde.

Au premier acte, Goethe nous plonge dans un monde politique corrompu. Faust et Méphistophélès renflouent les finances de l'empereur par des tours de magie noire. L'État contemporain ne tire plus sa prospérité de la production de richesses, mais de la spéculation. Le chaos carnavalesque de la cour de l'empereur révèle la faiblesse d'un « Ancien Régime » en décadence. Dans ce bas Moyen Âge en transition vers l'Europe moderne, Hélène de Troie, symbole de la beauté grecque, ne peut trouver sa place : la faire apparaître dépasse les forces de Méphistophélès lui-même. Car Hélène n'est pas une simple apparition, elle est l'être même du monde esthétique. Pour la faire revenir, Méphistophélès va entraîner Faust dans le royaume souterrain des Mères, les forces élémentaires de la nature dont il s'agit d'acquérir le pouvoir. Mais, au premier acte, Hélène n'apparaîtra à Faust qu'un instant, avant de disparaître à nouveau. Dans ce monde-là, elle ne peut séjourner.

À l'acte II, Faust revisite son propre passé. Méphistophélès n'est plus un principe opposé à Faust, mais celui qui s'oppose « au principe d'Hélène » : il est la destruction, le simulacre, la modernité privée de toute beauté antique. Ce diable-là s'accorde à la sottise infatuée de Wagner, le disciple de Faust, que nous voyons à présent, contemporain de Frankenstein (le roman de Mary Shelley date de 1818), en train de produire un monstre androïde dans son laboratoire, image du manque de force créatrice qui caractérise le moderne.

La « Nuit de Walpurgis classique », qui constitue la deuxième partie de l'acte II commence par le monologue d'Erichtho, figure mythologique à qui Goethe confie le soin d'instruire le procès, nietzschéen avant la lettre, de l'histoire sans vie de l'humanité moderne. Goethe rappelle que la beauté ancienne et la tradition grecque ne reviendront à la vie que si les modernes eux-mêmes se montrent capables de retrouver[...]

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Faust, F. W. Murnau - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Faust, F. W. Murnau