FAUST
La transfiguration du héros romantique
Déjà Lessing a esquissé, vers 1760-1770, un schéma nouveau dans lequel Faust, promu héros du savoir humain, doit échapper au démon : « La divinité n'a pas donné à l'homme le plus noble des instincts pour le rendre à jamais malheureux... »
Mais ce sont surtout les jeunes poètes, déjà romantiques, de la génération suivante qui consacrent un type nouveau de Faust : Maler Müller en 1776-1778, Klinger en 1791, d'autres encore. Leur Faust est à leur image, un titan en révolte contre ce monde mal fait, un héros assez audacieux pour défier la moralité, la société, la religion et pour conclure une alliance avec le démon.
Étapes du Faust de Goethe
Le plus brillant de ces « jeunes gens en colère », J. W. Goethe, a incarné en son Faust beaucoup de lui-même, ses rêves démesurés et ses révoltes, son goût pour la magie et l'alchimie et jusqu'au souvenir de son amour pour une jolie Alsacienne ; Faust, retombé de ses nobles ambitions dans les pièges du démon, séduit donc, puis abandonne Marguerite, qui en meurt. Cette histoire, déjà décisive dans la version primitive non publiée (dite Urfaust, 1771-1773), passe dans le Fragment de Faust publié en 1790, puis dans le texte définitif (Faust, première partie de la tragédie, 1808). Entre-temps, encouragé par Schiller, Goethe a élargi les horizons du drame. Le pacte de Faust prend la forme d'un pari : Méphistophélès arrivera-t-il à détourner la noble aspiration (Streben) de Faust vers le plaisir, la satisfaction, c'est-à-dire le mal ? Un pari semblable s'engage entre le diable et le Créateur, qui fait confiance à la nature humaine. Face à un Méphisto assez voltairien, Faust incarne désormais l'homme romantique, avec ses grands élans et sa constante hésitation entre le désir immédiat et les nobles aspirations.
C'est seulement à quatre-vingt-trois ans, quelques mois avant sa mort, que Goethe termine la Deuxième partie de la tragédie(1832). Faust y passe par diverses aventures, à la cour de l'empereur d'abord, où, comme dans la légende, il évoque Hélène de Troie ; au terme d'une longue quête symbolique, il la ramène sur terre et l'épouse. Mais elle disparaît bientôt avec leur enfant merveilleux, Euphorion, symbole du génie poétique. Plus tard, lassé par la politique et la guerre, en quête d'une « action » authentique, Faust entreprend de fonder un empire en colonisant un littoral marécageux. Quoique cette entreprise, comme les précédentes, exige l'assistance du diable, Faust y trouve la plus grande joie humaine et peut-être le désintéressement. Quand il meurt, son âme échappe à Méphisto, qui croyait gagner son pari, et les anges l'emportent au ciel. La tragédie humaine se termine ainsi en une « divine comédie », sans qu'on puisse trop déterminer si le salut de Faust est dû plutôt à ses nobles aspirations ou bien à la grâce divine et à l'amour dont Marguerite fut l'instrument.
Le Faust des romantiques
Débordant de symbolismes difficiles et inactuels, le Second Faust de Goethe n'eut pas d'abord le même rayonnement que le premier. Les romantiques allemands mènent plus volontiers leur Faust à la damnation qui sanctionne à la fois la grandeur et la démesure de ses aspirations et de ses actes, sa nostalgie de l'infini, de l'amour (Faust est volontiers rapproché de Don Juan) et son individualisme orgueilleux : ainsi Chamisso (1804), Grabbe (Don Juan et Faust, 1829), Lenau (1836), Heine (1856). L'inspiration est différente dans l'opéra de Spohr (1816), les Scènes pour le Faust de Goethe de Schumann (1853), etc.
Les romantiques anglais n'ont guère emprunté à la légende ou à Goethe que des éléments épars (le fantastique diabolique, la noble aspiration du titan condamné) qu'on retrouve notamment chez Byron et chez P. J.[...]
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Écrit par
- André DABEZIES : professeur de littérature comparée à l'université de Provence
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