FAUTE D'AMOUR (A. Zviaguintsev)
Prix du jury du festival de Cannes 2017, Faute d’amour est le cinquième film d’Andreï Zviaguintsev. Par le son et l’image, l’ouverture du film en suggère remarquablement le climat. Les battements sourds, aux accents métalliques et reposant sur la répétition d’une seule note de la partition musicale d’Evgueni Galperine, nous introduisent dans l’univers d’une forêt. Après le premier plan d’un arbre au tronc épais et aux très longues branches, qui envahit tout l’écran, neuf plans d’ensemble fixes successifs nous montrent, à la périphérie de Moscou, au fond d’un ravin et à côté d’une rivière immobile en partie gelée, un segment de forêt recouvert de neige. S’imposent à notre regard d’épais troncs d’arbres couchés sur le sol, des arbres desséchés, des branches sèches enneigées. À la violence de la musique répondra celle des relations au sein d’un couple. Dans le silence, la solitude, le froid de l’hiver, la sécheresse de la nature préfigure celle des cœurs. Ellipse. La neige a disparu. Un enfant d’une douzaine d’années en bonnet bleu et anorak rouge sort d’une école et traverse lentement cette forêt. Cet enfant, Aliocha, est au centre de la fiction qui se déroulera avec les tons gris de l’automne et des éclairages sombres d’intérieurs.
L’enfant disparu
En 2011, après avoir réalisé Elena, Andreï Zviaguintsev envisageait un remake du film d’Ingmar Bergman Scènes de la vie conjugale (1973) traité dans un contexte russe, mais son producteur n’obtint pas l’accord des ayants droit. En 2015, après Léviathan (2014), son scénariste, Oleg Negin, lui signala l’existence, en Russie, d’une association (Liza Alerte) qui recherchait des personnes disparues. Faute d’amour unit le thème du déchirement, de la rupture violente d’un couple (comme celle qui oppose Johan et Marianne chez Bergman) à celui de la disparition d’un enfant. Après treize ans de mariage, Boris (Alexeï Rozine) et Genia (Marianna Spivak) veulent divorcer pour refaire leur vie chacun avec une autre personne : Boris avec Macha, Genia avec Anton. Que faire de leur fils, Aliocha ? Avec beaucoup d’agressivité, les parents se querellent pour ne pas en avoir la garde. Après la dispute violente de ses parents, un plan silencieux et poignant nous fait ressentir toute la détresse d’Aliocha (Matveï Novikov) face à l’imminence du divorce. Alors que sa mère sort de la salle de bains, un bref panoramique vient cadrer en plan rapproché, dissimulé derrière une porte, l’enfant en larmes qui cache son visage dans ses mains. Un matin, il part pour l’école. On ne le reverra plus. Des bénévoles de la BRED (Brigade des enfants disparus), transposition de Liza Alerte, le rechercheront en vain tout au long du film au cours de trois séquences dans la forêt, qui transcrivent l’amour du cinéaste pour la nature, puis dans les sous-sols et les caves d’un grand bâtiment désaffecté où se réfugiait souvent Aliocha avec son ami.
La privation d’un amour authentique irrigue le déroulement du film. Mal aimée par sa mère, Genia n’aime pas Aliocha : l’enfant l’a fait beaucoup souffrir pendant l’accouchement et il ressemble trop à son père. Elle n’a jamais vraiment aimé Boris, qu’elle a épousé pour échapper à sa propre mère. Boris, lui, est surtout soucieux de son avenir professionnel : son divorce ne risque-t-il pas de nuire à sa carrière ? Pour les deux nouveaux couples que forment Boris et Macha, et Genia et Anton, les relations privilégiées reposent sur l’union des corps beaucoup plus que sur le sentiment et la communication des consciences.
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Écrit par
- Michel ESTÈVE : docteur ès lettres, diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris, critique de cinéma
Classification
Média