FAUTE D'AMOUR (A. Zviaguintsev)
Une humanité en perdition
Cette analyse psychologique s'ouvre sur un registre politique, déjà présent dans les films précédents de Zviaguintsev. La privation d’amour, suggère le cinéaste, est liée à la société russe actuelle (l’action se déroule entre octobre 2012 et février 2015). Une société dépossédée de ses traditions – importance de la famille, adhésion à l’univers du spirituel –, obnubilée par l’individualisme et l’égoïsme, soumise à un État arbitraire. La police ne recherche pas les personnes disparues mais contrôle les citoyens et combat toute forme d’opposition. Dans la partition symphonique qui ouvre le film, la répétition de la même note pourrait symboliser la volonté du pouvoir d’imposer une forme de pensée unique. Dans sa voiture, Boris entend un speaker affirmer qu’il est nécessaire de contrôler les médias ; dans les nouveaux appartements où, après leur divorce, vivent Boris (avec Macha) et Genia (avec Anton), les postes de télévision présentent des images de la guerre en Ukraine qui ressassent le point de vue des Russes.
Faute d’amourest un film profondément pessimiste. La Russie y est présentée comme un pays privé d’une spiritualité nécessaire à l’épanouissement de l’être humain. Au terme du récit, dernière « faute d’amour », le comportement de Boris vis-à-vis de son nouveau fils, auquel il manifeste peu d’attention, montre clairement qu’il n’assume pas mieux qu’auparavant sa responsabilité de père. La construction circulaire du récit renforce le pessimisme de la fiction. La neige réapparaît au cours des dernières séquences sous forme de fines particules, puis d’un épais manteau blanc sur le terrain de jeux, au pied des immeubles. Il n’y a plus personne dans la forêt où se promenait Aliocha. On voit seulement la photo de l’enfant imprimée sur un avis de recherche plaqué sur un poteau. Est-il mort ? À la morgue, on a découvert un cadavre, couvert de sang, mais Boris et Genia ne l’ont pas reconnu comme celui de leur fils. A-t-il choisi le désespoir de la fugue ? Le cinéaste ne répond pas à la question. Le film se referme sur les accents tragiques de la partition d’ouverture.
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Écrit par
- Michel ESTÈVE : docteur ès lettres, diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris, critique de cinéma
Classification
Média